Allure, bond, chat et autres homographes

Parmi le millier de faux-amis français-anglais, il est un sous-ensemble certes comportant peu d’éléments mais intéressant : celui des homographes. Par ce terme, les linguistes désignent les mots qui en français et en anglais ont une orthographe identique sans avoir ni sens voisin ni étymologie commune. Parfois la raison en est que le mot anglais provient du germanique alors que le mot français provient du latin. Dans d’autres cas, les mots sont chacun un emprunt à l’ancien français ou au moyen français mais de mots différents ou encore proviennent de deux mots latins différents.

Voici quelques exemples qui n’ont pas la prétention de constituer une liste exhaustive des homographes français-anglais. J’invite mes lectrices et lecteurs à la compléter.

Allure

Le verbe anglais signifie attirer ou tenter par quelque chose de flatteur ou de désirable, fasciner, charmer. Ce verbe est un emprunt au Moyen Français alurer = utiliser un leurre (=lure en anglais moderne) mot tiré du vocabulaire de la fauconnerie. Le leurre désignait un morceau de cuir rouge auquel un appât était attaché pour faire revenir le faucon. Ce mot provient du francique *lopr=appât[1], cf. luoder= appât en moyen haut allemand. De la fauconnerie, le sens du mot leurre a évolué pour signifier du XIVème au début du XVIIème siècle « artifice qui sert à attirer quelqu’un pour le tromper »[2]. De cette acception on voit aisément l’évolution du sens du verbe anglais.

En français, le mot allure signifie manière d’aller, de se mouvoir ou, par extension et au figuré, manière dont se présente une personne ou une chose. Le mot provient de l’ancien français aleure=vitesse de déplacement, train, marche[3] lui-même dérivé du verbe aller[4].Nous sommes donc bien loin du leurre !

Bond

En anglais moderne le mot signifie une obligation= lien de droit entre une ou plusieurs personnes comme dans l’expression My word is my bond= la parole que je donne est mon obligation. Il signifie également une obligation au sens d’instrument financier négociable. Ce mot, provenant de Scandinavie, fait son apparition vers le XII ème siècle avec le sens de choses qui lient rappelant le mot français bande. En moyen anglais, le mot bond a pris le sens de serf donc de personne liée à la terre d’où le mot bondage=état de servitude, esclavage. Au XIVème siècle, le mot bond a pris le sens d’accord qui lie[5].

En français moderne, le bond donne l’idée de saut, de mouvement. Le sens premier de bondir était retentir qui était encore un sens usuel au XVIème siècle [6]. Selon le Trésor informatisé de la langue français , il s’agit d’un « Emprunt au latin vulgaire bombitire, var. de *bombitare fréquentatif de bombire « bourdonner (des abeilles) », lui-même dér. de bombus « bourdonnement des abeilles, bruit retentissant », gr., onomatopée ; le changement de sens est dû à un changement de registre : à l’impression auditive de sons montants et descendants s’est substituée une impression visuelle de même rythme. »

Parmi les autres homographes, signalons :

Chat =bavardage en anglais, provenant du gothique de l’ouest, sens bien éloigné de l’animal domestique auquel il nous arrive de donner notre langue. Le mot français provient du latin cattus qui serait un emprunt d’une langue africaine[7].

Chair= morceau de viande en français, de caro carnis en latin et =chaise en anglais, de  cathedra en grec.

Comment= commentaire en anglais, de commentum=interprétation, invention, du participe passé de comminisci= penser à, inventer ; comment= interrogation en français, de comme au IXème siècle, de quomodo ablatif de quis=chacun et modus=mode[8].

Courtier. En anglais, le mot signifie à la fois une personne présente à la cour royale et aussi un flatteur. L’anglais a emprunté le mot à l’ancien français cortier=juge[9]. En français, le mot signifie un intermédiaire. Il provient de de l’ancien français courretier, curratier ou corratier tous dérivés de courre /courir car l’intermédiaire courrait entre l’acheteur et le vendeur[10] !

Don. Le don britannique comme verbe signifie mettre un article de vêtement (don her gloves=mettre ses gants, contraction de do on= mettre attesté au XIVème siècle) et comme nom soit un professeur d’université soit un chef de la Mafia. Ces derniers sens proviennent du latin dominus= seigneur, maitre. Le don français provient du latin donum= action de donner.

Dot. Le mot français provient également du latin classique dos, dotis du même sens avec toujours l’idée de donner. Le mot anglais qui signifie aujourd’hui un point comme celui mis sur la lettre « i » provient du vieil anglais dott=tache, manifestation d’une folliculite. Le sens de petite tache est apparu en 1674 et celui de petite marque ronde en 1748[11].

Fat. Le sens anglais de graisse provient du vieil anglais faetten= bourrer, à rapprocher de l’allemand Fett= graisse alors que le mot français provient du latin classique fatuus=fade, extravagant, insensé. Rabelais en 1534 utilise[12] le mot fat dans le sens de sot et Boileau en 1666 dans le sens de « personne pleine de complaisance pour elle-même »[13]

 

[1] Bloch et von Wartburg Dictionnaire étymologique de la langue française sub nom. leurre

[2] Trésor informatisé de la langue française (Trésor) sub nom. leurre

[3] Trésor sub nom. allure

[4] Bloch et von Wartburg  aller

[5] Chambers Dictionary of Etymology

[6] Bloch et von Wartburg sub nom.  Bondir, Trésor id.

[7] Bloch et von Wartburg signalent le mot nubien kadis=chat et le mot berbère kadiska =chat et estiment que cat en anglais et Katze en allemand proviennent du roman

[8] Rey Dictionnaire historique de la langue française

[9] Godefroy Lexique de l’ancien français

[10] Bloch et von Wartburg, Trésor sub nom. Courtier

[11] Chambers dot

[12] Rabelais, I, 21, Trésor.

[13] Satire, V, 5

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“En charge de”

Si le journal Le Figaro estime utile de mettre en ligne un outil, le Conjugueur ( http://leconjugueur.lefigaro.fr/) pour aider à maitriser les difficultés du français, ses journalistes truffent leurs articles d’anglicismes. Voici l’un des plus répandus et des plus faciles à corriger : l’emploi de l’expression en charge de. Exemples recueillis au hasard des pages récentes du Figaro :

Le 27 juillet 2016, Caroline Piquet, écrivait : « En mars 2016, la juge d’instruction en charge du dossier… » et « Pour savoir si elle devait libérer ou non Kermiche, la juge antiterroriste en charge du dossier c’est en partie reposée… » (« Adel Kermiche, sous bracelet électronique, a-t-il trompé les juges ? »).

Le 19 aout 2016, p. 6 Thibault Varga écrit « … Norbert Pap, historien et géographe de l’université de Pécs, en charge de l’équipe de recherche. » (« Soliman le Magnifique en terre hongroise ») et, même page, Nicolas Barote écrit : « Ils sont en charge de cette question au niveau régional. » (« Le débat sur la burqa resurgit en Allemagne »)

Comme l’a observé l’Académie française dans sa chronique Dire/ ne pas dire,  «  l’expression « être en charge de » est un anglicisme très répandu qui remplace trop souvent les expressions justes Avoir la charge de, Être chargé de. » L’académie en profite pour fustiger également les anglicismes Être en responsabilité de ou Être en capacité de. (http://www.academie-francaise.fr/en-charge-de-en-responsabilite-de-en-capacite-de)[1] .

Cette locution est un calque de l’anglais in charge of. Les mots charge en français et en anglais ont la même étymologie, carricare en bas latin, dérivé de carrus=chariot, mettre quelque chose dans un chariot. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, l’usage anglais ne différait pas du français. Ainsi, dans Comedy of Errors , Shakespeare fait dire à Antipholus: “Where is the gold I gave in charge to thee?” (Acte 1, sc.2) =où est l’or dont je t’ai donné la charge. Comme en français, l’anglais utilise le mot charge pour signifier le poste que l’on occupe ou que l’on achète. Vers le milieu du XIXème siècle, sans doute par extension du sens de poste ou charge, l’usage anglais commence à évoluer outre la voix passive traditionnelle the children are in charge of the nurse on voit apparaitre la voix active the nurse is in charge of the children (Oxford English Dictionary « OED » sub nom. Charge.) Ainsi, l’OED note qu’en 1859 Florence Nightingale dans ses Notes on Nursing iii.24 écrivait “No one seemed to know what it is to be “in charge” or who was in charge”.

C’est donc cet usage récent de la voix active en anglais qui continue d’être calqué en français par paresse intellectuelle et sans égards au bon usage.

 

[1] Cf. aussi les remarques de l’Office québécois de la langue française http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=844