La féminisation des noms de métiers et de fonctions : ce qu’il faut retenir du rapport de l’Académie française

En 1981, Jean d’Ormesson accueillait ainsi Marguerite Yourcenar sous la coupole : » Vous êtes un écrivain, et comme quelques autres substantifs et adjectifs de la langue française…[ ] le mot écrivain ne connaît pas la distinction de genre : il ne connaît, hélas ! ou peut-être heureusement, que des différences de force, de talent et de style. »

En 1984, suite à l’initiative du gouvernement Fabius en faveur de « la féminisation des titres et fonctions et, d’une manière générale, du vocabulaire concernant les activités des femmes », l’Académie demande aux professeurs Lévi-Strauss et Dumézil de soumettre un rapport à la Compagnie. Ce dernier, lu en séance le 14 juin 1984 et adopté à l’unanimité, concluait : « En français, la marque du féminin ne sert qu’accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle. La distribution des substantifs en deux genres institue, dans la totalité du lexique, un principe de classification permettant éventuellement de distinguer des homonymes, de souligner des orthographes différentes, de classer des suffixes, d’indiquer des grandeurs relatives, des rapports de dérivation, et favorisant, par le jeu de l’accord des adjectifs, la variété des constructions nominales… Tous ces emplois du genre grammatical constituent un réseau complexe où la désignation contrastée des sexes ne joue qu’un rôle mineur. Des changements, faits de propos délibéré dans un secteur, peuvent avoir sur les autres des répercussions insoupçonnées. Ils risquent de mettre la confusion et le désordre dans un équilibre subtil né de l’usage, et qu’il paraîtrait mieux avisé de laisser à l’usage le soin de modifier »

En février 2019, l’Académie soumet le rapport du groupe de travail présidé par Gabriel de Broglie. Adopté à l’unanimité moins deux voix, voici ce que l’Académie préconise aujourd’hui :

-la féminisation peut répondre à des souhaits légitimes reflétant l’évolution de la société

-pour correctement féminiser un nom de métier ou de fonction il faut que deux conditions soient remplies :(a) la forme adoptée résulte d’un usage établi et consacré et (b) cette forme doit impérativement suivre les règles générales de fonctionnement de la langue française, en particulier les « règles morphologiques qui président à la création des formes féminines dérivées des substantifs masculins » (p.6).

Sur le point (a) l’Académie souligne que son rôle n’est pas de dire l’usage mais de le constater. Elle considère qu’en aucun cas l’usage ne doit être forcé ou imposé que ce soit par décret du gouvernement ou par des normes rigides ou sous la pression d’idéologues (les néo-féministes, les adeptes de la théorie du genre, ou les identitaires). L’Académie tranche : « Aucune contrainte imposée au langage ne suffirait à changer les pratiques sociales : forcer une évolution linguistique ne permet pas d’accélérer une mutation sociale » (p. 15). Elle rappelle que « la langue n’est pas un outil qui se modèle au gré des désirs de chacun, mais bien une réalité soustraite à toute tentative de modification autoritaire, qui a sa vie propre et ses rythmes d’évolution spécifiques. » (P. 19) A ce titre l’Académie critique la féminisation des grades et dignités imposée au Journal officiel -chevalière, officière ou commandeure- comme n’étant pas reçue dans l’usage. Elle approuve la décision de la Cour de cassation de se conformer aux recommandations de l’Académie tout en constatant que certaines formes ne sont pas utilisées systématiquement (« avocate générale ») ou très rarement (« substitute »).

De la nécessite de respecter les règles de la langue, point (b), découle le maintien de la règle voulant que le masculin l’emporte sur le féminin et donc la proscription de l’écriture dite inclusive. Dans sa discussion l’Académie pose une distinction entre les noms de métiers et ceux de fonctions tout en observant que pour les uns et pour les autres, plus on monte dans la hiérarchie sociale plus la féminisation rencontre de difficultés. L’Académie commente certaines des difficultés : pour le féminin de « auteur » elle estime que la forme la plus correcte devrait être « autrice » bien que « auteure » soit répandu sans pour autant être établi.

Parmi les autres cas épineux, elle retient le mot « chef » dont elle constate que le féminin « cheffe » n’appartient pas au « bon usage » mais qu’il est difficile de le proscrire étant donne le nombre d’occurrences rencontrées dans les sources consultées par la commission. Elle attire l’attention sur l’emploi adverbial, donc non féminisable, de « chef », dans les locutions « infirmière-chef », ou « sergent-chef ».

Pour les noms de fonction, elle constate que certains sont aisées à féminiser mais elle reprend sa position traditionnelle : une fonction est impersonnelle, elle n’appartient pas à l’intéressé : « On n’est pas sa fonction : on l’occupe » (p. 13). Cependant, et c’est la nouveauté, elle ne considère pas que cette distance soit un « obstacle dirimant » à la féminisation. Cette plus grande souplesse pourra, pour les hautes fonctions, conduire a des situations pour lesquelles l’emploi de la forme masculine évitera la confusion. Ainsi, comme le constate l’Académie, « ambassadrice » désigne la femme de l’ambassadeur depuis le XVIème siècle. Comment alors éviter la confusion si l’occupante du poste est une homosexuelle mariée ? Sommes nous face deux Mme l’ambassadrice ? Même question si l’ambassadeur est un homosexuel marié : deux M. L’ambassadeur ?

Ayant constaté ces nombreux cas épineux et l’instabilité linguistique qui prévaut en France et dans la francophonie, l’Académie reprend en conclusion la nécessité pour les nouvelles formes d’être construites et utilisées « dans le respect des règles fondamentales de la langue et selon l’esprit du droit français ».

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Fiduciary Relationship

En novembre 2017 les Mélanges en l’honneur du Professeur Jean-Jacques Daigre étaient publiés. J’avais été très honoré d’avoir été sollicité pour y contribuer un chapitre. A la demande de mes amis professeurs de droit en Europe, j’ai choisi d’écrire sur un thème dont, me disaient-ils, tout le monde parle et que personne ne comprend : la fameuse « fiduciary relationship », mal traduite par « relation fiduciaire ». Dans ce texte, j’explore son origine, son application dans le droit des sociétés du Delaware a la responsabilité des dirigeants et son application en droit boursier fédéral américain comme source de la condamnation de certaines transactions réalisées par des inities. Voici le textele role de la fiduciary relationship dans le droit du delaware et dans le droit boursier americain melanges daigre

Le risque opérationnel et les banques

En 2014, la faculté de droit de l’Université de Strasbourg organisait un colloque international sur les banques face aux risques.Mon intervention  a porté sur le risque opéerationnel au regard de l’affaire BNP Paribas.Les actes du colloque n’ayant toujours pas été publiés voici un lien pour mon texte qui date de septembre 2014.le risque opérationnel et les banques v8a.

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Sean Manning grew up on the west coast of Canada and completed a Master’s degree on the revolt of Cyrus the Younger at the University of Calgary in 2013.  He is currently writing a doctoral d…

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Le dégorgement de la loi Sarbanes-Oxley : l’arrêt SEC c/ Jensen du 31 août 2016

La loi Sarbanes-Oxley du 30 juillet 2002 a introduit par son article 304 la notion de dégorgement – clawback – des bonus et autres rémunérations incitatives reçues par les directeurs généraux -CEO- et les directeurs financiers lorsque leur société doit réviser ses comptes en raison de mauvaise gestion (« misconduct »). Pour la première fois, une cour d’appel fédérale vient de décider si les cadres devant dégorger leur rémunération doivent avoir été personnellement impliqués dans cette mauvaise gestion. C’est le thème du commentaire d’arrêt que je viens de publier dans le Bulletin Joly Bourse No10 du 01 octobre 2016 : https://www.lextenso.fr/numero_revue/bulletin-joly-bourse/158/10/1475272800  p.444

 

 

Un cheval, des chevaux : pourquoi?

 

Vous êtes vous jamais posé la question : pourquoi le pluriel de cheval est-il chevaux ou celui de travail travaux? Peut-être avez-vous été en panne d’idées lorsqu’un enfant vous posait la question quand vous le repreniez pour avoir dit chevals ? Pour y répondre, il nous faut, à l’instar du Voyageur Temporel de H.G. Wells, remonter dans le temps pour, au gré des batailles, écouter les soldats parler de leurs chevaux et ainsi retrouver la forme, et la prononciation, initiale du mot et leur évolution. L’invisibilité que notre merveilleuse machine nous confère nous permettra tout au cours de ce voyage dans le temps d’écouter et de lire par-dessus l’épaule des scribes sans être ni vus ni entendus.[1]

Pour point de départ, transportons-nous le 1er août 216 avant J-C. dans la tente des consuls Gaius Terencius Varro et Lucius Aemilius Paullus qui alternaient à la tête de l’armée romaine à la veille de la bataille de Cannae[2] , la cuisante défaite de Rome par Hannibal. Les consuls parlent un latin intermédiaire entre le latin archaïque et le latin classique : on distingue bien les six cas des cinq déclinaisons, les accents toniques s’entendent bien ainsi que les diphtongues [axe], [one] et [au][3], et les voyelles longues et brèves sont toutes bien distinctes et reconnaissables[4] : on croirait qu’elles sortent de notre bon vieux Gaffiot !

Conscients de l’excellence de la cavalerie d’Hannibal, les consuls donnent des instructions pour le soin des equi puis l’un ordonne un de ses aides d’aller acheter des cabállos. A cette époque les locuteurs distinguent encore Equus, le cheval, de cabállus= rosse ou cheval hongre. Cette distinction disparaîtra par la suite.

Écoutons ensuite les equites [5]de Marc Antoine lors du siège d’Alésia par Jules César en septembre 52 av. J.-C. : le [-m] final est avalé. Ils ne disent plus cabállum mais kabállu à l’accusatif singulier.

Un peu plus tard, vers la fin du Ier siècle, la prononciation de kabállu a encore changé : le [b] semble avoir glissé pour devenir kaβállu, le [β] correspond au [b] de l’espagnol saber[6].

Faufilons-nous dans le camp d’Aurélien s’apprêtant à livrer bataille aux Alamans à Pavie en l’an 271 de notre ère : de kaβalu la prononciation est passée à kavállu[7].

La fin de l’Empire, entre la mort de Théodose en 395 et l’abdication de Romulus Augustulus en 476, et les invasions barbares qui l’accompagnent, entraînent d’importants changements non seulement dans la prononciation mais aussi dans la morphologie du mot.

Pour notre propos, contentons nous d’observer les grands bouleversements qui agitèrent la Gaule du V ème siècle.

Dès le milieu du IVème siècle les Francs et les Alamans obtiennent de Rome le droit de s’établir entre le Rhin et la Moselle d’où des contacts entre des populations germanophones et celles qui parlaient latin. Le 31 décembre 406 nous observons des familles de Vandales, d’Alains et de Burgondes traverser le Rhin gelé pour venir se fondre dans les populations locales de Boulogne à l’Aquitaine, dans la vallée du Rhône et en Provence. Les apports germaniques auront une influence notable sur la transformation du latin en proto-français [8]

Un peu plus tard, en 417, nous suivons l’invasion des Wisigoths qui arrivent à Toulouse et en 428 nous voyons Clodion, roi des Francs saliens s’emparer de Cambrai et atteindre la Somme puis en 443 c’est la fondation du royaume des Burgondes.

Au début de l’an 451 Attila traverse le Rhin et, après avoir incendié Strasbourg, il arrive devant Paris en avril. De loin, sans nous y attarder, nous observons Sainte Geneviève négocier le salut de la population parisienne. Puis, en accéléré, la grande bataille des Champs Catalauniques se déroule, sous nos yeux : Attila et ses alliés les Gépides et les Ostrogoths affrontent les Romains et leurs alliés les Francs, les Wisigoths et les Burgondes qui vainquent Attila. Que de brassages linguistiques à l’occasion de ces batailles ! . Les légionnaires romains ne prononcent plus kabállu mais kavállɔ[9].Enfin, nous survolons la prise de Lyon par les Burgondes et de Narbonne par les Wisigoths pour en arriver à l’avènement de Clovis en 481 et à la bataille de Soissons par laquelle il défit Rome. Profitant de notre invisibilité, nous l’observons lors de l’épisode du fameux vase et notons qu’il ne parle pas du tout le latin mais un dialecte germanique : le francique[10].

Au cours du Vème siècle,par suite d’un phénomène de palatisation[11] du [k] quand il est suivi d’un [a] qui lui-même se ferme en [e] (=é dans blé)[12],le [k] devient un [tʃ] [13](=tch comme  chop en anglais) de sorte que notre  kavállu de la fin du IVème siècle se prononce tʃevállɔ (=tchévallo+/- en graphie de français moderne) tout comme à la même époque le castellum du latin classique est devenu à l’oreille tʃastéllɔ[14].Notons, que la forme du pluriel n’a pas encore divergé du singulier puisque l’adjonction d’un [s] suffit[15]pour former le pluriel.

Lorsque les Ostrogoths mettent Rome à sac en 546, les légionnaires parlent un latin dans lequel les différences entre les cas des noms ont pratiquement disparu. Là où le latin utilisait les six cas pour exprimer un raffinement de la pensée, les locuteurs du VIème siècle n’en distinguent que deux : le nominatif et l’accusatif »[16].

C’est pour cela que le proto-français, ne connaît plus que deux cas [17]: le cas-sujet, correspondant à l’ancien nominatif et le cas-régime, correspondant à l’accusatif, les autres cas étant repris dans l’accusatif.

Un peu plus tard, au VIIème siècle, le [ɔ] final de ʧevállɔ        disparaît et la géminée[ll] se simplifie en [l][18] d’où ʧevál .C’est de la disparition du [ɔ] final que vient la différence entre le singulier et le pluriel de cheval .Par quel mécanisme demandez-vous?Comme vous le constatez, la syllabe finale du mot au pluriel se termine par deux consonnes au pluriel, le [al] devenant [als] ce qui a entraîné un affaiblissement du [l], consonne alvéolaire, pour devenir ce que les spécialistes appellent un « l vélaire »,[ł],prononcé comme le [l] de  twelve [19].

Lorsque les petits-fils de Charlemagne, Charles le Chauve et Louis le Germanique, devant leurs troupes, font serment d’assistance mutuelle contre leur frère Lothaire en 842, le [ł] a encore évolué : il s’est transformé en [w] (comme dans wood) pour donner une prononciation de ʧeváws [20] pour le pluriel de ʧevál.

Au XIème siècle, deux autres changements de prononciation interviennent : le [e] (=é comme blé) devient muet [ə] (=e muet comme me) et la vocalisation de [-ws] se poursuit pour former une diphtongue, dite de coalescence [21],avec la voyelle qui précède pour devenir [áus]. Notre ʧevál devient ʧəvál (=tcheval en graphie actuelle et non plus tchéval) et son pluriel, ʧeváws, devient ʧəváus (=tchevaous)[22].

A entendre les cavaliers de Philippe Auguste se préparant à livrer la bataille de Bouvines (1214) on remarque que la consonne [ʧ] a été simplifiée pour être ainsi prononcée [ʃ] (=chant en français ou shop en anglais) [23]ce qui nous donne ʃəvál et ʃəváus au pluriel.

Deux siècles et demi plus tard, lors de la bataille de Castillon (1453), malgré les assourdissantes canonnades, nous parvenons à déceler la prononciation des soldats de Jean Bureau [24]: le e muet [ə] est devenu un [ø] (=eu comme dans peu) mais la diphtongue finale est encore présente. Les soldats prononcent donc un ʃøvál et des ʃøváus.

Pour enfin arriver à la prononciation moderne, ʃøvál =cheval et ʃøvo= chevaux [25], il nous faut attendre la capture de Calais en 1558 et son retour à la France après deux siècles d’occupation anglaise. Ce n’est en effet au XVIème siècle qu’est vraiment attesté la monophtongaison de la diphtongue [au] qui devient [o][26].

Ainsi se termine notre excursion temporelle de 17 siècles qui nous a permis de suivre l’évolution de la rosse, cabállus, du Ier siècle avant J-C, au cheval blanc d’Henri IV !

©2016 Pierre F.de Ravel d’Esclapon

 

 

[1] Nous utilisons ici l’Alphabet Phonétique International. Pour mémoire, [e]=é dans blé ; [u]=ou dans cou ; [ʃ]=ch dans chant ou shop en anglais ; [ʧ]=ch dans chop en anglais ; [œ]=eu dans peu ; [w]=oui ou water en anglais ; [ɔ]=o dans mol ; [ə]=e muet comme dans me. L’accent aigu sur une voyelle dénote un accent tonique sur la voyelle. Le symbole [:] après une voyelle signifie l’allongement de celle-ci.

[2] Les amateurs d’histoire militaire ne manqueront pas d’apprécier que le double encerclement utilisé par Hannibal pour la première fois dans l’histoire connue soit employé par de nombreux stratèges, dont Napoléon, et conduisit à la défaite de la 6ème Armée du Reich à Stalingrad.

[3] C’est ainsi que Caesar prononcé Kaesar a donné Kaiser en allemand.

[4] Jozsef Herman Vulgar Latin (2000) p.27 et seq. note que, par exemple, malum signifie mauvais alors que ma : lum signifie pomme.

[5] Membre de l’ordre (ordo equester) de la cavalerie à Rome.

[6] Le [b], consonne occlusive bilabiale, a perdu son occlusion pour se transformer en constrictive bilabiale sonore notée [β] : Geneviève Joly, Précis de phonétique historique du français (2004) p.102; Herman, op.cit. p.45.

[7] Lorsque le [β] est précédé d’un [a] il se transforme à cette époque en labiodentale [v]: Joly, id. Le [v] est un phonème que le latin classique ne connaissait pas : le [v] des inscriptions ou des textes classiques se prononçait [w] comme dans oui ou water.

[8] Les chercheurs estiment que celui-ci avait cours du V ème siècle à la fin du IX ème siècle : Mireille Huchon Histoire de la langue française (2002) p.27-52

[9] Dans la première moitié du Vème s. le [u] final s’est ouvert en [ɔ] (= [o] dans mol) : Joly, op. cit., p.67, Gaston Zink Phonétique historique du français (1986), p.108

[10] Le francique de Clovis, dont très peu de traces sont restées, se rattachait au bas-allemand, ancêtre du néerlandais. Cf. William H. Bennett An Introduction to the Gothic Language (1972) p.14-15. Pour une liste de mots venant du francique cf. Huchon op.cit. p.49-50.

[11] Il s’agit de la prononciation d’un son plus près de la partie du palais dur qui rend celui-ci plus proche d’une consonne palatale. La palatisation joue un rôle capital  non seulement dans les langues romanes mais aussi dans les langues slaves, dans le japonais, le chinois et les langues de l’Inde.

[12] Zink op.cit. p.115 sur les hypothèses concernant un éventuel effet de Bartsch.

[13] Pour une discussion de la transition entre [k] et [t∫] en passant par l’étape intermédiaire de la sourde [ķ] par suite de l’élévation du point d’articulation du [k] jusque dans la zone médio palatale puis de son avancée dans la zone pré palatale : cf. Joly op.cit. p.90

[14] Zink p.108 cf. château < tʃastéllɔ et Karolus qui a donné Charles. Les lectrices attentives auront remarqué que le [a] de kastéllu ne s’est pas transformé en [e] : dans ce cas le [a] est entravé (il est suivi de 2 consonnes [st]) alors que dans le cas de kavállu, le [a] est libre n’étant suivi que d’une consonne d’où la différence de transformation : cf. Zink op.cit.108

[15] Après l’élimination du [m] final, le [s] a servi à distinguer le nominatif singulier de dominus de l’accusatif singulier dominu[m] : cf. Herman, op.cit. p.42.La chute des consonnes finales avait commencé très tôt puisqu’un graffito découvert à Pompéi se lit : »quisquis ama ualia, peria qui nosci amare » alors que la formulation classique eût été : »quisquis amat ualeat, pereat qui nescit amare« =longue vie aux amants, mort à ceux qui ne peuvent aimer. On voit bien que dès cette époque, le [t] final s’était amuï : Herman, id.

[16] Herman, op.cit. p.56-57

[17] Huchon op.cit. p.77

[18] Joly op.cit. p.131

[19]Le [ɫ] est une consonne apico-alvéodentale : Zink op.cit.p.130 : ce processus de vocalisation et de vélarisation du [l] antéconsonnantique primaire a débuté beaucoup plus tôt que dans le cas des [l] antéconsonnantiques secondaires : dès le IIIème siècle pour le premier, comme dans alba devenu ałbə puis aube alors que pour les seconds il fallu attendre le VIIIème siècle pour qu’intervienne la vélarisation du [l].E. et J. Bourciez, Phonétique française(1982) p.190 §191 expliquent  la formation des mots qui ont un [l] final et montrent comment certains finissant en [-al] au singulier ont un pluriel en [-aux] alors que d’autres, tels que  chapeau ou château ont un singulier tiré du pluriel.

[20] La perte du contact apico-alvéodentale en est la raison : Joly, op. cit. p.101.

[21] Zink, op.cit., p.133-136

[22] Joly, op.cit., p.101, explique pourquoi dans les manuscrits de l’ancien français la séquence –us issue de la vocalisation du [l] est souvent rendue par –x et comment le [l] implosif a évolué de alteru à autre, de bellus à biaus par exemple.

[23] La consonne affriquée mi-occlusive [ʧ] s’est transformée en chuintante sourde [ʃ]

[24] Jean Bureau commanda les troupes de Charles VII lors de cette bataille qui marqua la fin de la Guerre de Cent Ans et qui fut la première bataille où les canons jouèrent un rôle décisif.

[25] La graphie du moyen français utilisait indifféremment les terminaisons [-s], [-x] et [-z] pour marquer le pluriel : Huchon op.cit. p.73 pour la dérivation de chevaux à partir de la graphie chevax rencontrée en ancien français et l’explication de l’emploi de la lettre [x]. Cf. Joly op.cit. p.101.

[26] Zink op.cit., p.135

“En charge de”

Si le journal Le Figaro estime utile de mettre en ligne un outil, le Conjugueur ( http://leconjugueur.lefigaro.fr/) pour aider à maitriser les difficultés du français, ses journalistes truffent leurs articles d’anglicismes. Voici l’un des plus répandus et des plus faciles à corriger : l’emploi de l’expression en charge de. Exemples recueillis au hasard des pages récentes du Figaro :

Le 27 juillet 2016, Caroline Piquet, écrivait : « En mars 2016, la juge d’instruction en charge du dossier… » et « Pour savoir si elle devait libérer ou non Kermiche, la juge antiterroriste en charge du dossier c’est en partie reposée… » (« Adel Kermiche, sous bracelet électronique, a-t-il trompé les juges ? »).

Le 19 aout 2016, p. 6 Thibault Varga écrit « … Norbert Pap, historien et géographe de l’université de Pécs, en charge de l’équipe de recherche. » (« Soliman le Magnifique en terre hongroise ») et, même page, Nicolas Barote écrit : « Ils sont en charge de cette question au niveau régional. » (« Le débat sur la burqa resurgit en Allemagne »)

Comme l’a observé l’Académie française dans sa chronique Dire/ ne pas dire,  «  l’expression « être en charge de » est un anglicisme très répandu qui remplace trop souvent les expressions justes Avoir la charge de, Être chargé de. » L’académie en profite pour fustiger également les anglicismes Être en responsabilité de ou Être en capacité de. (http://www.academie-francaise.fr/en-charge-de-en-responsabilite-de-en-capacite-de)[1] .

Cette locution est un calque de l’anglais in charge of. Les mots charge en français et en anglais ont la même étymologie, carricare en bas latin, dérivé de carrus=chariot, mettre quelque chose dans un chariot. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, l’usage anglais ne différait pas du français. Ainsi, dans Comedy of Errors , Shakespeare fait dire à Antipholus: “Where is the gold I gave in charge to thee?” (Acte 1, sc.2) =où est l’or dont je t’ai donné la charge. Comme en français, l’anglais utilise le mot charge pour signifier le poste que l’on occupe ou que l’on achète. Vers le milieu du XIXème siècle, sans doute par extension du sens de poste ou charge, l’usage anglais commence à évoluer outre la voix passive traditionnelle the children are in charge of the nurse on voit apparaitre la voix active the nurse is in charge of the children (Oxford English Dictionary « OED » sub nom. Charge.) Ainsi, l’OED note qu’en 1859 Florence Nightingale dans ses Notes on Nursing iii.24 écrivait “No one seemed to know what it is to be “in charge” or who was in charge”.

C’est donc cet usage récent de la voix active en anglais qui continue d’être calqué en français par paresse intellectuelle et sans égards au bon usage.

 

[1] Cf. aussi les remarques de l’Office québécois de la langue française http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=844

 

Glamour et grammaire

“Cocktail explosif, Marina a deux âmes, l’une radicale, l’autre glamour” (« Marina Abramovic, le gourou de la performance » Le Magazine du Monde 10 janvier 2014), “Que rêver de mieux pour la presse populaire qui trouve là des images, des récits et du glamour à tous les étages ? » (Le Point 10 janvier 2014 « Comment la presse people a déshabillé les politiques »). Que signifie ce mot « glamour » que l’on retrouve depuis le 1er janvier dans 4 articles du journal Le Monde, dans 5 articles de Libération et dans 6 articles dans le Point ?

C’est en vain que l’on peut chercher le mot dans la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie française ou dans le Trésor de la langue française[1]. Selon Le Dictionnaire culturel en langue française (Alain Rey Ed. Robert) le mot est un emprunt à l’anglais datant de 1970 signifiant « charme (dans le domaine du spectacle, de la mode) ».Le Larousse version électronique nous informe que ce nom masculin vient de l’anglais (= séduction) et signifie « Type de sex-appeal sophistiqué, caractéristique de certaines stars hollywoodiennes  (Rita Hayworth, Lana Turner etc.,). De même, le Petit Robert informatique donne le sens de « Charme sophistiqué (dans le domaine du spectacle, de la mode) ».

En anglais moderne glamour  a le sens de «  qualité très excitante et attrayante, attirance romantique excitante et souvent illusoire » (Merriam-Webster).Ce sens moderne est récent : il date des années 1870.Au XVIIIème siècle les poètes écossais comme Allan Ramsay utilisaient le mot « glamour » dans le sens de « sortilège fascinant particulièrement pour tromper les yeux »[2] A cette époque, on jetait un glamour. C’est le grand auteur écossais Sir Walter Scott qui  a introduit le mot glamour dans la littérature anglaise dans son poème The Lay of the Last Minstrel (1805) .Le gobelin Page jette un sort : « It had much of glamour might »[3] le mot ayant ici le sens de « délusion induite par magie ».

Le mot  glamour provient de l’anglo-normand glomerie qui signifiait grammaire.

Pour comprendre comment on est passé de grammaire à enchantement ou sortilège il faut se reporter au sens du mot grammaire en ancien et en moyen français. Au XIIème siècle grammaire et grimoire orthographiés gramaire et gramoire étaient utilisés indifféremment [4] .Le premier usage attesté de gramaire comme livre savant est dans le Bestiaire écrit par le poète anglo-normand Philippe de Thaon vers 1125 à la cour d’Henri Ier  fils de Guillaume le Conquérant : « PHILIPPE de Taun en Franceise raisun Ad estrait Bestiaire, un livere de gramaire[5] ». Comme la grammaire latine était  inintelligible pour le commun des mortels le mot a acquis la connotation  d’ouvrage dont le sens paraissait secret relevant de la magie. Ainsi, un gramaire signifiait à la fois un grammairien, un savant et un magicien[6] . le  gramoire du XIIème siècle est devenu grymoire au XIIIème s. avec le sens de livre de sorcellerie[7].

Le gramaire de l’ancien français apparait aussi outre- Manche sous le nom de gramerye (prononcé grammerie). C’est par dissimilation que le  premier /r /de gramerye, consonne liquide, s’est transformé en / l /autre consonne liquide également voisée, de la même manière que le /r/ du latin peregrinus (= étranger) est devenu /l/ pour donner pèlerin  et pilgrim en anglais[8].On retrouve l’association glomerie/grammaire dans l’office de Magister Glomeriae qui figure dans la charte de l’université Cambridge[9]. Ce dernier avait pour fonction la supervision des « grammar schools » dont les élèves étaient des glomerelli. En Moyen Anglais (1154-1485) le mot gramerye[10], comme le mot grammaire en moyen français (1340-1611), signifie à la fois « grammaire » et  «  magie, sciences occultes »[11].Comme gramaire et grymoire  furent longtemps très proches, sinon interchangeables, le moyen français ajoutait au sens traditionnel d’  « ensemble de règles pour le bien parler et le bien écrire » la connotation  d’ouvrage dont la lecture permettait d’invoquer le diable.

S’il a fallu attendre 1840 pour que le mot glamour en anglais acquière le sens de beauté magique, charme séduisant, on peut supposer que les écoliers d’aujourd’hui, adeptes du style télégraphique en vogue dans les communications électroniques, pensent, comme leurs ancêtres moyenâgeux, que la grammaire a quelque chose de diabolique !


[1] Dans la définition de l’adjectif « équivalent »  une citation de 1928 indique que « « glamour » est sans équivalent dans notre langue », citation reprise dans la définition du mot « lexique ».

[2] The Poems of Allan Ramsay vol.2 Allan Ramsay, George Chalmers, Lord A. Woodhouselee (1877) glossaire p.xi, fable “The Monk and the Miller’s Wife”: “Lest glamour had beguil’d his een” p.365.Cf. aussi Stephen Gundle Glamour, a History Oxford University Press 2008

[3] Canto 3 vers 103

[4] Greimas Dictionnaire de l’ancien francais

[5] « Philippe de Thaun a traduit en français le Bestiaire un livre de grammaire”

[6] Godefroy Lexique de l’ancien francais

[7] Dubois, Mitterrand et Dauzat Dictionnaire d’étymologie, Larousse: « grimoire XIIe (gra-) ; XIIIe Fabliau (gri-) var. labialisée de grammaire »

[8]On est passé d’abord à pelegrin qui a donné pèlerin et  pilgrim. La forme latine se retrouve dans “pérégrin” et  «  faucon pérégrin »

[9] Hastings Rashdall The Universities of Europe in the Middle Ages: pt. 2 English Universities (1895) p.555 et n.3

[10] Concise Oxford Dictionary of Etymology

[11] Greimas et Keane Dictionnaire du moyen français Larousse

Sus aux solécismes, haro sur les barbarismes

L’Académie française, dans la huitième édition de son Dictionnaire, soulignait que « Le barbarisme et le solécisme sont les deux principaux vices d’élocution ”. Quelque grande puisse être l’influence du milieu anglophone dans lequel nous vivons, les expatriés se doivent de corriger ces vices.

Pour mémoire, selon le même Dictionnaire ,le solécisme est « une faute contre la syntaxe au regard de la grammaire » alors que le barbarisme est « une faute contre le langage soit dans la forme ,soit dans le sens du mot (mot créé ou altéré ,dévié de son sens ,impropre….Faute caractéristique d’un étranger (gr. barbaros) particulièrement celle qui consiste dans l’emploi d’une forme inexistante, par opposition avec le solécisme, qui est l’emploi fautif dans un cas donné d’une forme par ailleurs correcte. Nominer pour nommer, citer est un barbarisme. »

Lors d’une récente réunion d’expatriés, l’animateur avait demandé à plusieurs expatriés de faire une courte présentation sur l’activité du domaine dudit membre. Les solécismes et les barbarismes émaillant  les discours étaient  affligeants pour qui respecte la langue française.

La perle des solécismes revient à un intervenant  qui a commencé son intervention par la phrase : « J’écoutais ce que vous parliez ». Non, je n’invente pas !

Les barbarismes sont beaucoup plus fréquents que les solécismes dans la bouche des cadres expatriés.

Nombre d’entre eux sont l’expression d’un laxisme lexical, d’une paresse intellectuelle, de snobisme  et d’un manque inadmissible de respect de la langue française. Comment autrement qualifier le discours tenu par un des expatriés : « Anyway, il faut continuer… », ou ordonnant à un des intervenants  de «  faire ton overview rapidement » et, plus tard, ajoute qu’il faudra convaincre « d’autres villes on the road » de participer.

Les intervenants qui parlèrent d’une certaine industrie ont fait assaut de barbarismes en observant que dans cette industrie, le « retail » était « drivé » par ceci ou cela. Le « commerce de détail » et son pendant le « commerce de gros » ont-ils disparus ? Au lieu de « drivé » pourquoi ne pas dire « mus par les moteurs.. ». Le barbarisme « retailization » m’a laissé pantois .Il est nécessaire de dire « tendance » au lieu de « trend ».

De même, « data center » ou « centre de data » doit céder la place à « centre de données » et n’est-il pas plus exact de dire « amélioration de la performance » au lieu de « augmentation de la performance »?

Plusieurs barbarismes méritent une mention particulière :

« Challenge »

Plusieurs intervenant ont employé le mot « challenge », l’un d’entre eux ayant même poussé le vice jusqu’à dire « être challengé ». Le mot « challenge » existe bien en français mais pas dans le sens de la phrase. En français moderne un « challenge » selon le Trésor de la langue française est une «  Épreuve périodique entre deux sportifs ou deux équipes pour la conquête d’un titre ou d’un trophée (coupe, statue, etc.) que le vainqueur garde en dépôt, puis cède au vainqueur d’une nouvelle épreuve. Lancer, gagner un challenge; faire disputer un challenge. ».Le sens sportif du mot nous vient de l’anglais : vers 1380 le mot anglais « challenge », emprunté au vieux français, avait pris le sens de « défi dans un combat ». En ancien français, le mot « chalongier » ou « chalengier » signifiait « chicane, attaque, défi » (XIIe s.).Le mot provenait  du latin classique calumnia terme juridique « accusation fausse, chicane » formé sur le participe du verbe « caluor » = »chicaner, tromper » puis « réclamation, accusation, litige » en latin médiéval.

L’Académie dans sa 9ème édition estime que ce mot doit être écrit « chalenge » car «  (On écrit aussi, moins bien, Challenge.) et que le sens de « provocation, défi » est  un emploi déconseillé.

Ainsi, pour être correct, il convient d’employer le mot « défi » pour traduire « challenge » sauf si le contexte sportif permet l’emploi du mot « challenge ».

« basique »

C’est un faux ami qui est encore une mauvaise traduction de l’anglais « basic ».L’Académie dans la neuvième édition de son Dictionnaire limite l’emploi de l’adjectif basique à la chimie (= qui a les propriétés d’une base) et à la minéralogie (=roche ou sol de composition alcaline).Il fallait dire choses relativement élémentaires.

« profitabilité »

Si les mots « profit » et « profitable » sont acceptés dans la 9ème édition du  Dictionnaire de l’Académie, le mot « profitabilité » n’y figure pas. Il en est ainsi dans le Trésor de la langue française (Tl). Il faut dire plutôt « rentabilité » (=Aptitude à engendrer des profits, des bénéfices » Tlf.).Notons que « profit » n’a pas qu’un sens matériel .Selon la 9ème édition le « profit » : est un  « Avantage d’ordre pratique, moral ou intellectuel que l’on retire d’une chose, bénéfice…ÉCON. Revenu résiduel, correspondant aux recettes d’une entreprise desquelles on a soustrait les coûts de production et de distribution des biens et des services produits. Profit d’exploitation. Compte de profits et pertes, Passer par pertes et profits. »

« Flop »

Un des intervenants estima que la stratégie de diversification d’une certaine industrie avait été un « flop ». Ce mot ne figure ni à la 9ème édition du Dictionnaire de l’Académie ni dans la base informatique du Tlf. Si certains dictionnaires, Larousse ou Robert, le mentionnent, ils s’accordent à considérer que cet anglicisme est d’un emploi familier utilisé principalement pour indiquer l’échec d’un roman ou d’une pièce de théâtre.

Dans Les Mémoires d’Outre-tombe (t.2, 1848, p.702) Chateaubriand observait qu’  « Une langue (…) ne saurait changer sa syntaxe qu’en changeant son génie. Un barbarisme heureux reste dans une langue sans la défigurer; des solécismes ne s’y établissent jamais sans la détruire. » Très rares, sinon inexistants, sont les barbarismes faits par les expatriés que l’on pourrait objectivement considérer comme des barbarismes heureux car, pour l’essentiel d’entre eux ils ne sont que l’expression du laxisme lexical précité.

L’ homme et la mouche

Que l’homme prenne la mouche ne surprend personne. Que l’homme et la mouche partagent des comportements peut étonner. C’est pourtant le cas si l’on se fie aux travaux du professeur Zars[1] de l’Université du Missouri, spécialiste en neurobiologie. Le professeur Zars a étudié le comportement des mouches à fruit males, Drosophila melanogaster, et a découvert que les males privés de sexe noient leur dépit dans l’alcool : parallèle évident avec le comportement des hommes !


[1] G. Shohat-Ophir, K. R. Kaun, R. Azanchi, U. Heberlein. Sexual Deprivation Increases Ethanol Intake in Drosophila. Science, 2012; 335 (6074): 1351 DOI: 10.1126/science.1215932

Étoupe, stop, perdrix à l’étouffée et étoffes

Quel lien peut exister entre ces mots en apparence aussi disparates? C’est en examinant la descendance d’une vieille racine proto-indo-européenne, datant de quelque 4 000 ou 5 000 ans, que nous pourrons, au gré des migrations  des peuplades dans le temps et dans l’espace et des emprunts d’une langue à l’autre, comprendre comment d’un ancêtre commun sont issus des cousins dont la parenté est maintenant difficile à déceler.

C’est en 1792  , alors que la France révolutionnaire se battait contre l’Europe et que Rouget de l’Isle composait La  Marseillaise, que les marins français empruntent à l’anglais le mot stop pour signifier arrêt[1].Pour les lecteurs suffisamment jeunes pour se souvenir des messages télégraphiques et des stops qui marquaient la fin de chaque phrase ( « arriverai train 18h43 stop attendrai au Train Bleue stop Bisous stop ») notons que l’origine est l’expression full stop = »fin de phrase, point » utilisée en Angleterre depuis la fin du XVIème siècle.

Le vieil anglais, issu du germanique occidental, comme l’est l’ancien haut allemand[2], avait un mot apparenté forstoppian=boucher, fermer[3] qui s’est transformé en stoppian puis en stop en anglais moderne.

Les tribus germaniques aux frontières de l’empire romain, faisaient grand  usage  des bouchons en étoupe, particulièrement le long du Rhin. C’est ainsi que le francique stopfôn signifiait « mettre, fourrer, enfoncer dans  » avec le même sens que l’ancien haut allemand stopfôn .

Ces peuplades ont repris en le germanisant le verbe stuppare= »boucher, calfater » que le latin vulgaire avait formé sur le nom stuppa = bouchon[4] en latin vulgaire. Le mot anglais stopper signifie encore aujourd’hui « quelque chose qui sert obturer, à boucher« .

Le mot stuppa signifiait « étoupe » en latin classique. Le sens de la langue classique est resté en ancien français (estupe=étoupe).Aujourd’hui, outre son sens traditionnel, le mot étoupe se retrouve dans l’expression un peu vieillie mettre le feu aux étoupes = « exciter à des sentiments violents, à faire l’amour » comme l’a utilisé Lesage: « Cette fausse dévote, vrai suppôt de Satan, mit le feu aux étoupes en parlant sans cesse à la dame de l’amour et de la persévérance des Génois [5]« .

Le mot stuppa vient  du grec στππη( stuppé )=étoupe, partie la plus grossière de la filasse du chanvre ou du lin[6].Le mot grec a pour origine la racine indo-européenne (s)teue=boucher, condenser[7] que certains orthographient steu̯ǝ- signifiant “devenir dense , serré, étroit[8].

 

La descendance germanique de stuppa/stuppare et en particulier du francique stopfôn (= « mettre, fourrer, enfoncer dans  » ) nous a ensuite donné le mot estofer en ancien français, vers 1190, dont le sens est devenu « remplir, rembourrer, garnir , approvisionner » d’où ce qui sert à garnir =une étoffe [9].Par le biais du hollandais stoppen =fourrer, mettre, repriser ,nous est venu le sens du verbe stopper =réparer une étoffe déchirée ou trouée et le verbe restauper =racommoder à l’aiguille les trous d’une toile utilisé en Flandre dès 1730 [10].

La descendance romane du verbe stuppare du latin vulgaire nous a donné estoper en ancien français = »1.boucher avec de l’étoupe, calfater 2.arrêter faire cesser. 3. fermer la bouche à quelqu’un. 4. plier le corps en deux et 5.jouir d’une femme« [11].On imagine aisément pourquoi dans l’esprit des gens du haut moyen-âge la progression est naturelle entre le  3ème sens et le  5ème sens!

Influencé par son cousin germanique, estofer, le verbe estoper prends dès le XIIIème siècle le sens d’étouffer =asphyxier d’où au XVème siècle l’expression étouffer son ennemi=le tuer. Progressivement, son  sens évolue: au figuré, le sens « d’empêcher un sentiment ou une parole » est relevé  mi-XVIème siècle[12], le sens de « cacher, supprimer, faire disparaître » comme dans l’expression étouffer une affaire apparaît dans la 1ère édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694), puis c’est au milieu du XVIIIème siècle qu’apparaît le sens culinaire de « cuire en vase clos » attesté pour la première fois dans la 7ème édition du Dictionnaire de l’Académie française (1835).

Si aujourd’hui estouffade et à l’étouffée sont en cuisine synonymes, il ne faut pas conclure de la similitude des mots qu’ils ont la même racine! En effet, estouffade ne vient pas de stuppa/ stuppare mais de l’italien stofata =cuisson à la vapeur, mot venant de stufa= fourneau, du latin vulgaire extufare du grec tuphein=fumer, remplir de fumée[13]!

Pour nous remettre des fatigues de ce périple linguistique serait-ce pousser le bouchon trop loin que de souhaiter étouffer une bonne bouteille[14] en bonne compagnie!


[1] Alain Rey Le Robert Dictionnaire historique de la langue française(1992) (Rey).

[2] Orrin W. Robinson Old English and its Closest Relatives, a Survey of the Earliest Germanic Languages p.12 (1992)

[3] J.R. Clarke, A Concise Anglo-Saxon Dictionary p.132 (4ème éd.1960). A noter qu’en vieux frison stoppia =boucher, comme stoppen en hollandais moderne: Chambers A Dictionary of Etymology R.K. Barnhart éd.(1988) p.1071.

[4] Ernout et Meillet Dictionnaire étymologique de la langue latine (4ème éd.1959, réimpr. 2001)

[5] Histoire de Guzman d’Alfarache I,3

[6] Leo Meyer Handbuch der griechischen Etymologie v.4 p.171-172 (1902) .

[7] Joseph T.Shipley The Origin of English words :A Discursive Dictionary of Indo-European Roots (1984).

[8] Selon A Proto-Indo-European Language Lexicon, and an Etymological Dictionary of Early Indo-European Languages,http://dnghu.org/indoeuropean.html ,une banque de données établie à partir de J. Pokorny “Indogermanisches Etymologisches Wörterbuch”, corrigé par George Starostin (Moscow), A. Lubotsky, la racine/lemma steu̯ǝ- signifie “devenir dense , serré, étroit” et est bien l’origine du mot grec στύππη `étoupe’ dont  provient le mot latin “stuppa” .

[9] A.J.Greimas Dictionnaire de l’ancien français (2001) sub nom. »estofer » et J. Picoche Dictionnaire étymologique du français (1992) sub nom. « étoupe »

[10] Tlf. Sub nom. « restauper »

[11] Greimas op. cit. sub nom. « estoper ».

[12] Trésor de la langue française (Tlf) sub nom. »étouffer »

[13] D’où aussi le mot « étuve »: Rey op.cit. et Tlf. sub nom. « estouffade »

[14] = boire en entier: Rey op.cit.

Van Gogh, Francis Bacon et commodat:quel lien?

Si cette juxtaposition en apparence arbitraire titille votre curiosité,lisez l’intéressant article de Thibault de Ravel d’Esclapon  ( cliquez ici )qui explore à la fois les relations de Bacon avec Arles et les problèmes juridiques qu’une disposition testamentaire de Bacon a suscités. Vous y rencontrerez les vieilles notions de commodat ou prêt à usage ainsi que celles de trust si chères à nos confrères anglo-saxons.

Informatique et contrefaçon

Le jeune informaticien Sebastien Bisch nous offre  sa perception des problèmes de contrefaçon:Sebastien Bisch

L’imitation est la forme la plus sincère de la flatterie

Qui  mieux que Thierry le Luron pour illustrer cette maxime:

Son imitation de Dalida,cf.la rubrique musique pour Bambino par exemple,est remarquable.

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