Sus aux solécismes, haro sur les barbarismes

L’Académie française, dans la huitième édition de son Dictionnaire, soulignait que « Le barbarisme et le solécisme sont les deux principaux vices d’élocution ”. Quelque grande puisse être l’influence du milieu anglophone dans lequel nous vivons, les expatriés se doivent de corriger ces vices.

Pour mémoire, selon le même Dictionnaire ,le solécisme est « une faute contre la syntaxe au regard de la grammaire » alors que le barbarisme est « une faute contre le langage soit dans la forme ,soit dans le sens du mot (mot créé ou altéré ,dévié de son sens ,impropre….Faute caractéristique d’un étranger (gr. barbaros) particulièrement celle qui consiste dans l’emploi d’une forme inexistante, par opposition avec le solécisme, qui est l’emploi fautif dans un cas donné d’une forme par ailleurs correcte. Nominer pour nommer, citer est un barbarisme. »

Lors d’une récente réunion d’expatriés, l’animateur avait demandé à plusieurs expatriés de faire une courte présentation sur l’activité du domaine dudit membre. Les solécismes et les barbarismes émaillant  les discours étaient  affligeants pour qui respecte la langue française.

La perle des solécismes revient à un intervenant  qui a commencé son intervention par la phrase : « J’écoutais ce que vous parliez ». Non, je n’invente pas !

Les barbarismes sont beaucoup plus fréquents que les solécismes dans la bouche des cadres expatriés.

Nombre d’entre eux sont l’expression d’un laxisme lexical, d’une paresse intellectuelle, de snobisme  et d’un manque inadmissible de respect de la langue française. Comment autrement qualifier le discours tenu par un des expatriés : « Anyway, il faut continuer… », ou ordonnant à un des intervenants  de «  faire ton overview rapidement » et, plus tard, ajoute qu’il faudra convaincre « d’autres villes on the road » de participer.

Les intervenants qui parlèrent d’une certaine industrie ont fait assaut de barbarismes en observant que dans cette industrie, le « retail » était « drivé » par ceci ou cela. Le « commerce de détail » et son pendant le « commerce de gros » ont-ils disparus ? Au lieu de « drivé » pourquoi ne pas dire « mus par les moteurs.. ». Le barbarisme « retailization » m’a laissé pantois .Il est nécessaire de dire « tendance » au lieu de « trend ».

De même, « data center » ou « centre de data » doit céder la place à « centre de données » et n’est-il pas plus exact de dire « amélioration de la performance » au lieu de « augmentation de la performance »?

Plusieurs barbarismes méritent une mention particulière :

« Challenge »

Plusieurs intervenant ont employé le mot « challenge », l’un d’entre eux ayant même poussé le vice jusqu’à dire « être challengé ». Le mot « challenge » existe bien en français mais pas dans le sens de la phrase. En français moderne un « challenge » selon le Trésor de la langue française est une «  Épreuve périodique entre deux sportifs ou deux équipes pour la conquête d’un titre ou d’un trophée (coupe, statue, etc.) que le vainqueur garde en dépôt, puis cède au vainqueur d’une nouvelle épreuve. Lancer, gagner un challenge; faire disputer un challenge. ».Le sens sportif du mot nous vient de l’anglais : vers 1380 le mot anglais « challenge », emprunté au vieux français, avait pris le sens de « défi dans un combat ». En ancien français, le mot « chalongier » ou « chalengier » signifiait « chicane, attaque, défi » (XIIe s.).Le mot provenait  du latin classique calumnia terme juridique « accusation fausse, chicane » formé sur le participe du verbe « caluor » = »chicaner, tromper » puis « réclamation, accusation, litige » en latin médiéval.

L’Académie dans sa 9ème édition estime que ce mot doit être écrit « chalenge » car «  (On écrit aussi, moins bien, Challenge.) et que le sens de « provocation, défi » est  un emploi déconseillé.

Ainsi, pour être correct, il convient d’employer le mot « défi » pour traduire « challenge » sauf si le contexte sportif permet l’emploi du mot « challenge ».

« basique »

C’est un faux ami qui est encore une mauvaise traduction de l’anglais « basic ».L’Académie dans la neuvième édition de son Dictionnaire limite l’emploi de l’adjectif basique à la chimie (= qui a les propriétés d’une base) et à la minéralogie (=roche ou sol de composition alcaline).Il fallait dire choses relativement élémentaires.

« profitabilité »

Si les mots « profit » et « profitable » sont acceptés dans la 9ème édition du  Dictionnaire de l’Académie, le mot « profitabilité » n’y figure pas. Il en est ainsi dans le Trésor de la langue française (Tl). Il faut dire plutôt « rentabilité » (=Aptitude à engendrer des profits, des bénéfices » Tlf.).Notons que « profit » n’a pas qu’un sens matériel .Selon la 9ème édition le « profit » : est un  « Avantage d’ordre pratique, moral ou intellectuel que l’on retire d’une chose, bénéfice…ÉCON. Revenu résiduel, correspondant aux recettes d’une entreprise desquelles on a soustrait les coûts de production et de distribution des biens et des services produits. Profit d’exploitation. Compte de profits et pertes, Passer par pertes et profits. »

« Flop »

Un des intervenants estima que la stratégie de diversification d’une certaine industrie avait été un « flop ». Ce mot ne figure ni à la 9ème édition du Dictionnaire de l’Académie ni dans la base informatique du Tlf. Si certains dictionnaires, Larousse ou Robert, le mentionnent, ils s’accordent à considérer que cet anglicisme est d’un emploi familier utilisé principalement pour indiquer l’échec d’un roman ou d’une pièce de théâtre.

Dans Les Mémoires d’Outre-tombe (t.2, 1848, p.702) Chateaubriand observait qu’  « Une langue (…) ne saurait changer sa syntaxe qu’en changeant son génie. Un barbarisme heureux reste dans une langue sans la défigurer; des solécismes ne s’y établissent jamais sans la détruire. » Très rares, sinon inexistants, sont les barbarismes faits par les expatriés que l’on pourrait objectivement considérer comme des barbarismes heureux car, pour l’essentiel d’entre eux ils ne sont que l’expression du laxisme lexical précité.