Récemment, mon ami Philippe O’Logue assistait à une réunion du Cercle des Cadres Expatriés, tenue, me disait-il, comme à l’accoutumée dans un grand restaurant de New York. Franco-américain, vivant dans un milieu anglophone, Phil a toujours veillé à ne pas mélanger les deux langues. Contrarié par ce qu’il décelait être soit des fautes de français soit tout simplement des anglicismes résultant de la paresse des locuteurs, il m’a soumis une liste de « perles » pour commentaires.
Trilliards
La crise actuelle nous oblige à jongler avec des sommes défiant l’entendement. Plusieurs intervenants, pour signifier « mille milliards » soit « trillion » au sens américain (trillion=1000 billions) ont utilisé le vocable » trilliard ».Est-ce une faute? Oui sans doute aucun: le mot n’existe pas dans notre langue dans ce sens. Face à une difficulté linguistique, ces intervenants ont crée un néologisme par emprunt et dérivation provenant de l’anglais: pour calquer la progression américaine de « million « à « billion » et à « trillion », ils ont allègrement progressé de « million » et « milliard » à « trilliard ».Notons que le mot « billion » pour signifier « milliard » est parfaitement accepté selon Le Trésor de la langue française .
L’usage du mot « trillion » pour signifier « mille milliards » a été également relevé, en particulier dans la bouche d’un expert financier français. Malheureusement, cet emploi n’est plus permis depuis 1948.Auparavant, quoique vieilli, le sens de « trillion » était « mille milliards« . Ainsi, le Capitaine Haddock dans Le Trésor de Rackham le Rouge aurait fort bien pu s’exclamer « un trillion de sabords » au lieu de » mille millions de mille sabords » mais l’effet n’eût pas été le même! Cependant, depuis la IXe Conférence générale des Poids et Mesures, réunie à Paris en 1948, le mot « trillion » pour les pays européens doit être utilisé dans le sens de » un milliard de milliards « soit 10 puissance 18.C’est la définition reprise par Le Robert.Il faut donc employer l’expression « mille milliards » pour traduire le « trillion » américain. On est donc en droit de se poser la question lorsqu’un journal, ou un locuteur, francophone utilise le mot » trillion « du sens voulu par l’auteur ou par le locuteur. Ceci est d’autant plus vrai que selon la même Conférence le mot « trilliard« ,certes d’un usage rare, doit signifier une quantité égale à 10 puissance 21 soit « mille millards de milliards »!Dans la même échelle,adoptée par le Royaume-Uni,le mot « billion » réfère à une quantité égale à 10 puissance 12 soit égale au « trillion » américain. Une autre illustration de l’observation de G.B.Shaw : »England and America are two countries separated by a common language. »
Dans les vicissitudes de la crise, nous ne pouvons qu’être soulagés que les « trillions » engloutis pour la rescousse de certaines sociétés n’aient pas eu le sens du Robert!
Compensation et rémunération
Phil nota qu’un intervenant, explicant comment la crise touchait les cabinets d’avocats, déclara que « la compensation des associés » avait subi une diminution. Il ne faut pas confondre « compensation » en anglais qui signifie « rémunération » et « compensation » en français qui veut dire » rétablir l’équilibre entre deux choses complémentaires ou antagoniste » ou, en droit et en finance, « annulation réciproque de créances, jusqu’a concurrence de la plus faible, lorsque les deux personnes sont respectivement débitrices et créancières l’une de l’autre ».
Autres « perles »
Phil nota quelques expressions qui, selon lui (et selon moi) relevaient de la paresse: « ma société termine l’année flat », « on a vu un shift », « nous vendons des produits qui ne sont pas inexpensive » ou encore, ô comble, « mon core business était down ».Il y a de quoi rester pantois devant un tel laisser-aller qui témoigne d’une imprécision croissante de la langue, voire de la pensée. Ceci est d’autant plus regrettable que l’éminence du français comme langue diplomatique et culturelle provenait de la précision de l’expression que l’on pouvait attendre d’elle.
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