Tolérance,Révérence et Dhimmitude

Au cours de son voyage en Europe, le président Obama a déclaré à plusieurs reprises [1] que sa politique vis-à-vis du monde musulman allait dorénavant être fondée sur un « respect mutuel » allant même à Strasbourg jusqu’à dire qu’il fallait pour  montrer ce respect « changer notre langage et notre ton » à l’égard du monde musulman.

M.Obama a joint le geste à la parole lors de la réunion du G-20 à Londres: il fit la révérence au roi d’Arabie saoudite (voyez la vidéo ici )alors qu’il ne fit qu’une petite inclinaison de la tête à la reine d’Angleterre (vidéo).

Le monde musulman peut-il accorder un « respect mutuel » au monde non musulman?

Daniel Henninger,, éditorialiste au Wall Street Journal, examine la question en soulignant que les populations chrétiennes vivant dans le monde musulman sont persécutées et conclut en recommandant à M.Obama de faire de la tolérance envers les minorités religieuses la pierre angulaire du respect mutuel.

Aussi louable que puisse être ce but, est-il possible du côté musulman? Une analyse de la doctrine coranique et de la jurisprudence permet d’en douter.

Pour les musulmans, le monde est divisé en deux: d’un côté il y a le dar al-Islam [2]-les territoires gouvernés par la Shari’a et de l’autre le dar al-harb -pays des non-musulmans ( mushrikun)[3] contre lesquels les musulmans ont l’obligation de faire la guerre [4]Comme l’écrivait le grand penseur Ibn Khaldun : »Pour les musulmans la guerre sainte ( jihad) est un devoir religieux en raison de l’universalité de la mission des musulmans et [ de l’obligation ] de convertir toutes les personnes à l’Islam par la persuasion ou par la force » [5]Les habitants du dar al-harb -les harbis- n’ont aucun droit: leur personnes et leurs biens peuvent être pris par n’importe quel musulman. Cette doctrine explique la découverte par deux journalistes du Washington Post, Valerie Strauss et Emily Wax, que des écoles islamiques de la banlieue de Washington, D.C. enseignent aux enfants de 7 ans que voler à un non-musulman n’est pas un vol![6]

A l’intérieur des territoires musulmans ,les peuples du Livre ( juifs et chrétiens ) ont un statut spécial celui de dhimmis. Les dhimmis doivent payer un tribut annuel ( jizya ) pour avoir la permission de vivre [7]conditionnée par la  reconnaissance de leur infériorité comme dhimmi par rapport aux musulmans et de leur vocation à être humiliés par les musulmans[8].L’historienne Bat Ye’or a consacré plusieurs ouvrages à l’histoire des dhimmis depuis les conquêtes musulmanes du VIIème siècle jusqu’à nos jours [9].De ses analyses historiques ,il ressort que les dhimmis ont interdiction de construire des maisons plus hautes que celles des musulmans[10],interdiction de porter des vêtements de couleur verte ( couleur de l’Islam) [11],interdiction de port d’armes [12],interdiction de monter à cheval ou à chameau avec une selle [13]interdiction de sonner les cloches des églises[14],interdiction de construire de nouvelles églises[15].Si l’église est située dans un pays ayant capitulé devant les conquérants musulmans son intérieur  peut être entretenu mais pas son extérieur!. Par contre si l’église est sise dans un pays conquis par la force des armes alors l’église ne peut pas être entretenue[16].Vivre comme dhimmi a donné lieu à dhimmitude-la condition d’être un dhimmi dans un pays musulman-un néologisme attribué à Mme Bat Ye’or et  utilisé par Bachir Gemayel,alors président du Liban, dans un discours prononcé le 14 septembre 1982 à Dayr-al -Salib dans lequel il refusait toutes les tentatives de la majorité musulmane de subjuguer les chrétiens maronites et  déclarait: « Nous refusons toute dhimmitude« [17]

Certains diront que les grands penseurs islamiques qui ont énoncé les règles de comportement des  dhimmis envers les musulmans et des musulmans envers les dhimmis, comme le Tafsir Ibn Kathir[18] ,Abu’l Hasan al-Mawardi[19] ou Abu Yousouf[20]ne sont plus d’actualité et que, de toute façon, la dhimmitude a été abrogée dans les pays islamiques.

Sur le premier point, observons que le Tafsir Ibn Kathir est toujours enseigné et que les grands penseurs comme  Mawardi, Abou Yousouf ou Ibn Khaldun font autorité encore aujourd’hui[21] comme en témoignent les écrits de Sayyid Abul A’la Mawdudi [22]ou de l’Ayatollah Khomeini[23].

Sur le second point, bornons nous à observer ,comme M.Henninger  et Mme Bat Ye’or l’ont fait, que  disparaissent  les communauté coptes en Egypte, les chrétiens au Soudan dont  les enfants subissent des conversions forcées, l’église orthodoxe syriaque en Turquie, que le patriarche chaldéo-assyrien de Mossoul est  enlevé et assassiné ,que grand est  le péril auquel sont confrontés les chrétiens de la vallée Swat au Pakistan suite à la trêve conclue entre le gouvernement du Pakistan et les talibans qui contrôlent cette vallée, ou encore qu’interdiction est faite aux travailleurs immigrés chrétiens  en Arabie saoudite  de pratiquer le christianisme .Ces exemples parmi tant d’autres prouvent  que la doctrine traditionnelle [24] est bien suivie aujourd’hui.  L’interdiction de pratiquer toute religion autre que l’Islam en Arabie saoudite ou dans les autres pays qui ont adopté la Shari’a se retrouve  dans les textes comme le Tafsir Ibn Kathir ou les écrits d’Ibn Khaldun ou  d’Abd El Whahab. Manifestement le sort des communautés chrétiennes en territoires islamiques est plus que préoccuppant: même si publiquement les gouvernements prétendent que la tolérance est de mise,les exactions perpétrées par les personnes privées musulmanes contres les populations chrétiennes continuent dans le but avoué de convertir ou de faire partir les « infidèles ».

Un courant non négligeable de pensée islamiste moderne se réclame des penseurs /juristes des premiers siècles de l’Islam [25]La doctrine  islamiste millénaire étant claire sur les rapports que les musulmans peuvent avoir avec les non-musulmans est-il réaliste de penser que les musulmans traditionalistes peuvent réellement accorder un respect mutuel aux chrétiens (et aux juifs)?

Eu égard à la doctrine islamiste , lorsque l’Occident se complait à faire étalage de sa tolérance n’ ignore-t-il pas une question fondamentale: comment une société tolérante doit- elle traiter avec une société dont la raison d’être est de la détruire ou de la subjuguer [26]parce que cette société est une société d’infidèles?

Que la tolérance soit une vertu ne peut être remis en cause par nulle personne de bonne volonté mais alors comment réconcilier l’idéal de tolérance avec la constatation que certains pensent encore ,à l’instar des penseurs musulmans traditionnels mentionnés ci-dessus[27] qu’il faut convertir de gré ou de force les infidèles et que tout pays du dar al-harb doit soit accepter la Shari’a soit être subjugué? Voilà donc dans la jurisprudence islamique l’aune à laquelle nous pouvons mesurer la tolérance.

Lectrices et lecteurs ne pensez vous pas qu’une société fondée sur la tolérance a comme premier devoir d’assurer sa survie ès-qualité de société tolérante? Si ces prémices sont acceptées, il s’en suit alors que ladite société est en droit de prendre des mesures de défense pouvant être autrement taxées d’intolérance parce qu’il faut assurer la pérennité d’une société fondée sur la tolérance.

Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, accordons néanmoins le bénéfice du doute à M.Obama dans ses relations avec le monde musulman et espérons que qu’il saura encourager celui-ci à évoluer  et à se mettre au diapason du XXIème siècle sans pour autant, comme l’ont fait trop d’européens, devenir des dhimmis parce qu’il faut être politiquement correct et ne jamais élever la moindre critique contre l’autre[28] surtout s’il est musulman.


[1] Discours devant le Parlement européen à Strasbourg le 3 avril 2009 et devant le parlement turc le 6 avril 2009.

[2] Pour des distinctions entre Oumah et dar al-Islam cf.Leon Brown Religion and State :the Muslim approach to Politics ( 2000) p.85

[3] Pour les nuances entre mushrikun ,coupables du péché de shirk et les kuffar cf.,inter alia,Jacques Waardenberg Muslims and Others (2003) p.192

[4] Peter Mandeville, Transnational Muslim Politics p.13

[5] Ibn Khaldun The Muqudimmah,An introduction to history,trad.F.Rosenthal ( 1958) I,473

[6] Where Two Worlds Collide:Muslim Schools Face Tensions of Islamic,U.S.Views,Washington Post 25 février 2002 p.A01

[7] La source en est la sourate 9 verset 29.

[8] Cf.commentaire de Tafsir Ibn Kathir sur la sourate 9:les dhimmis doivent « être en disgrace,humiliés et rabaissés »: وَهُمْ صَـغِرُونَ.Sur les règles de comportement des musulmans par rapport aux dhimmis cf.: http://www.qtafsir.com/index.php?option=com_content&task=view&id=2566&Itemid=64: »Therefore, Muslims are not allowed to honor the people of Dhimmah or elevate them above Muslims, for they are miserable, disgraced and humiliated. Muslim recorded from Abu Hurayrah that the Prophet said,«لَا تَبْدَءُوا الْيَهُودَ وَالنَّصَارَى بِالسَّلَامِ، وَإِذَا لَقِيتُمْ أَحَدَهُمْ فِي طَرِيقٍ فَاضْطَرُّوهُ إِلَى أَضْيَقِه»(Do not initiate the Salam to the Jews and Christians, and if you meet any of them in a road, force them to its narrowest alley.) This is why the Leader of the faithful ‘Umar bin Al-Khattab, may Allah be pleased with him, demanded his well-known conditions be met by the Christians, these conditions that ensured their continued humiliation, degradation and disgrace. »Commentaire du Tafsir sur la sourate 9:29.

[9] The Dhimmi:Jews and Christians Under Islam (2003) Islam and Dhimmitude:Where Civilizations Collide (2001),;Le Dhimmi:profil de l’opprimé en Orient et en Afrique du Nord depuis la conquête arabe ( 1980),Les chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude,VII-XX siècle(1991) , »Dhimmitude past and present:an invented or real history »Starr Foundation Lecture,Brown University 10 October 2002 http://dhimmitude.org/archive/by_lecture_10oct2002.htm.

[10] The Dhimmi p.62

[11] Id.203,215

[12] David B.Kopel Dhimmitude and Disarmement 18 George Mason University Civil Rights Law Journal 2008.Cette interdiction explique les exactions dont furent victimes au cours des siècles les communautés juives et chrétiennes vivant dans les territoires islamiques:cf.Majid Khadduri War and Peace in the Law of Islam (2006) p.193-195

[13] Pacte d’Umar cité par Norman Stillman ,The Jews of Arab Lands: A History and Source Book ( 1979) p.157-158

[14] Id.59-60,196,341

[15] Id.57-58

[16] Pacte d’Ummar Stillman ibd.p.99

[17] Lebanon News 8 No 18 14 Sept 1985 p.1-2

[18] Supra n.8

[19] Al-Ahkam as -Sultaniyyah.The Laws of Islamic Governance trad.Dr.Asadullah Yate (1996)

[20] Livre de l’impôt foncier Kitab el-Kharadj trad.Fagnan Paris 1921 p.189

[21] Sherko Kirmanj The Relationship Between Traditional and Contemporary Islamist Political Thought ,Middle East Review of International Affairs,vol.12No 1 ( March 2008),p.69 et seq.

[22] A Short History of the Revivalist Movement in Islam (2002); »Political Theory of Islam »in Mansoor et al. Contemporary Debates in Islam:An Anthology of Modernist and Fundamentalist Thought(2000);

[23] Pour un gouvernement islamique (Paris, 1979), pp. 31ff.

[24] Doctrine exprimée dans le Tafsir Ibn Kathir ou dans les écrits d’Ibn Khaldun par exemple.

[25] Cf.inter alia,les réactions du Sheik Yousef Al-Qaradawi, chef spirituel des Frères Musulmans en Egypte sur la rencontre entre le Grand Rabin d’Israel I.Lau et le Sheikh Tantawi d’ Al Hazar: http://www.memri.org/bin/articles.cgi?Area=sr&ID=SR00398 et  Sherko Kirmanj The Relationship Between Traditional and Contemporary Islamist Political Thought ,Middle East Review of International Affairs,vol.12No 1 ( March 2008),p.69 et seq.

[26] Cf.Ibn Khuldun supra n.4

[27]Ibn Khaldun ,Tafsir Ibn Kathir  ou Muhammad ibn Abd-al-Wahhab par exemple.

[28] Cf.les critiques adressées à Wim Wenders pour son documentaire ou encore les réactions aux dessins danois.

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