La féminisation des noms de métiers et de fonctions : ce qu’il faut retenir du rapport de l’Académie française

En 1981, Jean d’Ormesson accueillait ainsi Marguerite Yourcenar sous la coupole : » Vous êtes un écrivain, et comme quelques autres substantifs et adjectifs de la langue française…[ ] le mot écrivain ne connaît pas la distinction de genre : il ne connaît, hélas ! ou peut-être heureusement, que des différences de force, de talent et de style. »

En 1984, suite à l’initiative du gouvernement Fabius en faveur de « la féminisation des titres et fonctions et, d’une manière générale, du vocabulaire concernant les activités des femmes », l’Académie demande aux professeurs Lévi-Strauss et Dumézil de soumettre un rapport à la Compagnie. Ce dernier, lu en séance le 14 juin 1984 et adopté à l’unanimité, concluait : « En français, la marque du féminin ne sert qu’accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle. La distribution des substantifs en deux genres institue, dans la totalité du lexique, un principe de classification permettant éventuellement de distinguer des homonymes, de souligner des orthographes différentes, de classer des suffixes, d’indiquer des grandeurs relatives, des rapports de dérivation, et favorisant, par le jeu de l’accord des adjectifs, la variété des constructions nominales… Tous ces emplois du genre grammatical constituent un réseau complexe où la désignation contrastée des sexes ne joue qu’un rôle mineur. Des changements, faits de propos délibéré dans un secteur, peuvent avoir sur les autres des répercussions insoupçonnées. Ils risquent de mettre la confusion et le désordre dans un équilibre subtil né de l’usage, et qu’il paraîtrait mieux avisé de laisser à l’usage le soin de modifier »

En février 2019, l’Académie soumet le rapport du groupe de travail présidé par Gabriel de Broglie. Adopté à l’unanimité moins deux voix, voici ce que l’Académie préconise aujourd’hui :

-la féminisation peut répondre à des souhaits légitimes reflétant l’évolution de la société

-pour correctement féminiser un nom de métier ou de fonction il faut que deux conditions soient remplies :(a) la forme adoptée résulte d’un usage établi et consacré et (b) cette forme doit impérativement suivre les règles générales de fonctionnement de la langue française, en particulier les « règles morphologiques qui président à la création des formes féminines dérivées des substantifs masculins » (p.6).

Sur le point (a) l’Académie souligne que son rôle n’est pas de dire l’usage mais de le constater. Elle considère qu’en aucun cas l’usage ne doit être forcé ou imposé que ce soit par décret du gouvernement ou par des normes rigides ou sous la pression d’idéologues (les néo-féministes, les adeptes de la théorie du genre, ou les identitaires). L’Académie tranche : « Aucune contrainte imposée au langage ne suffirait à changer les pratiques sociales : forcer une évolution linguistique ne permet pas d’accélérer une mutation sociale » (p. 15). Elle rappelle que « la langue n’est pas un outil qui se modèle au gré des désirs de chacun, mais bien une réalité soustraite à toute tentative de modification autoritaire, qui a sa vie propre et ses rythmes d’évolution spécifiques. » (P. 19) A ce titre l’Académie critique la féminisation des grades et dignités imposée au Journal officiel -chevalière, officière ou commandeure- comme n’étant pas reçue dans l’usage. Elle approuve la décision de la Cour de cassation de se conformer aux recommandations de l’Académie tout en constatant que certaines formes ne sont pas utilisées systématiquement (« avocate générale ») ou très rarement (« substitute »).

De la nécessite de respecter les règles de la langue, point (b), découle le maintien de la règle voulant que le masculin l’emporte sur le féminin et donc la proscription de l’écriture dite inclusive. Dans sa discussion l’Académie pose une distinction entre les noms de métiers et ceux de fonctions tout en observant que pour les uns et pour les autres, plus on monte dans la hiérarchie sociale plus la féminisation rencontre de difficultés. L’Académie commente certaines des difficultés : pour le féminin de « auteur » elle estime que la forme la plus correcte devrait être « autrice » bien que « auteure » soit répandu sans pour autant être établi.

Parmi les autres cas épineux, elle retient le mot « chef » dont elle constate que le féminin « cheffe » n’appartient pas au « bon usage » mais qu’il est difficile de le proscrire étant donne le nombre d’occurrences rencontrées dans les sources consultées par la commission. Elle attire l’attention sur l’emploi adverbial, donc non féminisable, de « chef », dans les locutions « infirmière-chef », ou « sergent-chef ».

Pour les noms de fonction, elle constate que certains sont aisées à féminiser mais elle reprend sa position traditionnelle : une fonction est impersonnelle, elle n’appartient pas à l’intéressé : « On n’est pas sa fonction : on l’occupe » (p. 13). Cependant, et c’est la nouveauté, elle ne considère pas que cette distance soit un « obstacle dirimant » à la féminisation. Cette plus grande souplesse pourra, pour les hautes fonctions, conduire a des situations pour lesquelles l’emploi de la forme masculine évitera la confusion. Ainsi, comme le constate l’Académie, « ambassadrice » désigne la femme de l’ambassadeur depuis le XVIème siècle. Comment alors éviter la confusion si l’occupante du poste est une homosexuelle mariée ? Sommes nous face deux Mme l’ambassadrice ? Même question si l’ambassadeur est un homosexuel marié : deux M. L’ambassadeur ?

Ayant constaté ces nombreux cas épineux et l’instabilité linguistique qui prévaut en France et dans la francophonie, l’Académie reprend en conclusion la nécessité pour les nouvelles formes d’être construites et utilisées « dans le respect des règles fondamentales de la langue et selon l’esprit du droit français ».

Fiduciary Relationship

En novembre 2017 les Mélanges en l’honneur du Professeur Jean-Jacques Daigre étaient publiés. J’avais été très honoré d’avoir été sollicité pour y contribuer un chapitre. A la demande de mes amis professeurs de droit en Europe, j’ai choisi d’écrire sur un thème dont, me disaient-ils, tout le monde parle et que personne ne comprend : la fameuse « fiduciary relationship », mal traduite par « relation fiduciaire ». Dans ce texte, j’explore son origine, son application dans le droit des sociétés du Delaware a la responsabilité des dirigeants et son application en droit boursier fédéral américain comme source de la condamnation de certaines transactions réalisées par des inities. Voici le textele role de la fiduciary relationship dans le droit du delaware et dans le droit boursier americain melanges daigre

Le risque opérationnel et les banques

En 2014, la faculté de droit de l’Université de Strasbourg organisait un colloque international sur les banques face aux risques.Mon intervention  a porté sur le risque opéerationnel au regard de l’affaire BNP Paribas.Les actes du colloque n’ayant toujours pas été publiés voici un lien pour mon texte qui date de septembre 2014.le risque opérationnel et les banques v8a.

Sardonian or sardonic: a botanico-etymological inquiry

Searching for the origins of words leads one to interesting results. A case in point are the related words sardonian and sardonic.

According to Collins’ English dictionary, sardonian means “a person who flatters with harmful or deadly intent” while Webster’s (1913 Ed.) defines sardonic as:” Forced; unnatural; insincere; hence, derisive, mocking, malignant, or bitterly sarcastic; – applied only to a laugh, smile, or some facial semblance of gayety.” For Webster’s, sardonian is an older word, synonym of sardonic.

The word sardonic, attested in English first in 1638 in Sir Thomas Herbert’s Works, was borrowed from the French sardonique ( Chambers Dictionary of Etymology, sub nom. Sardonic 1988). The French word sardonien appeared first in 1579 in the book of poems Regrets by Joachin du Bellay and then in the works of the famous physician Ambroise Paré (1580 Œuvres, éd. J.-Fr. Malgaigne, t. 3, p. 334 et 385). Both authors used it in the expression ris sardonien (sardonian laughter). The word sardonien became sardonique shortly after.

The word was borrowed from the Latin sardonicus risus itself a Latinization of the Greek Σαρδόνιος (sardonios=bitter or scornful laughter). The Greek word designated originally someone from Sardinia, hence the surname Sardone (http://www.tuttiicognomi.com/cognomi-S.htm).How the word came to take the meaning of bitter or scornful goes back to Homer (Oxford Dictionary of Fables and Phrases). Homer knew of the plant called sardonion or herba sardonia in Latin, i.e., the sardonian herb , a species of ranunculus (ranunculus sceleratus or apium risus), which when eaten or drunk causes facial convulsions resembling those that accompany bitter or scornful laughter ( Chambers, supra,  A. Rey Dictionnaire historique de la langue française sub nom. sardonique).The original Greek comes from  the Indo-European root*sward=laughter found also in Celtic languages such as Cornish ( hwerthin) and Middle Breton ( huersin) meaning to laugh .

The cure for ingestion of sardonion was given thusly by the most important Greek physician of his day ( before 700 B.C.) Paulus Aegineta  : “[i]t will be proper to give honied water and milk, with embrocations and lubrications of the whole body, by calefacient remedies; and to have recourse to hot-baths of hot oil and water, and to anoint properly and rub them after the baths..”( The Seven Books of Paulus Aegineta translated from the Greek by Francis Adams, vol.2,p.235-6 London 1844). One can think of other pleasant uses of such a cure without having to deal with any sardonion or sardonian unpleasantness.

Versatile

Mon ami John, francophile jusqu’à la moëlle depuis l’année universitaire qu’il a passée en France il y a plus de 20 ans parle un français qui quoiqu’ excellent, tient plus de Dutronc que de Flaubert. Dans une récente conversation, en français s’il vous plait, sur nos chers joueurs de baseball, les Yankees, John me soutient que la force de notre équipe favorite est en partie due à la versatilité de certains joueurs. Entendant John utiliser l’adjectif  versatile  pour décrire ces joueurs, je lui demande de préciser sa pensee. John me réponds qu’il a utilisé cet adjectif pour décrire des joueurs capables de jouer plusieurs positions avec égale habileté et, de surcroît, ambidextres.

Manifestement John utilisait le mot versatile dans son sens anglais.Quoique le sens de « changeant or fluctuant aisément »soit un des sens retenu pour ce mot par le dictionnaire Merriam-Webster,l’acception la plus courante est celle de «  capable de multiples usages »,ou, applique a une personne,  « ayant de multiples talents ,ou intérêts ».C’est dans ce sens que l’on retrouve le mot dans les exemples d’usage notés tant dans le Roget’s Thesaurus que dans l’Encyclopedia Britannica en ligne : je cite la description de Nina Simone : «  versatile performer (pianist-singer-songwriter) whose few original compositions deal mainly with racism and whose wide-ranging repertoire encompasses jazz, soul, blues, folk, gospel, and pop songs ». Dans tous les cas de figure, le mot est aujourd’hui utilisé avec une connotation positive, voire flatteuse.

En français, par contre, l’acception courante du mot est péjorative : « personne ne qui change souvent et aisément de parti, d’opinion; qui est sujet à de brusques revirements » selon le Trésor de la Langue Française qui d’ailleurs donne comme synonymes « capricieux, fantasque, lunatique, inconstant. ». C’est dans ce sens que Sainte- Beuve l’utilisait dans Port Royal : « On connaît bien et trop bien l’intérieur de ce prince vif et spirituel, mais capricieux, versatile, a la merci de sa fantaisie présente. ». Le sens, vieilli, de « qui provoque ou subit un mouvement alternatif, d’un côté puis d’un autre » est tombé en désuétude.

Comment le même mot ayant la même origine a-t-il pu acquérir des connotations si diamétralement opposées en français et en anglais?

Le mot vient du latin versatilis « mobile, qui tourne aisément », et, au sens figure « flexible, qui se plie à tout », lui-même un dérivé de versare =tourner, se retourner.

Au Moyen Age et encore au XVIème siècle, le mot versatile était employé pour désigner une épée à deux tranchants. Cette capacité à être utilisé dans un sens ou dans l’autre est soulignée par Montaigne, qui dit de l’esprit humain : « Il traite et soi et tout ce qu’il reçoit, tantot avant, tantôt arrière, selon son être insatiable, vagabond et versatile ». Le sens dépréciatif de l’adjectif n’est donc pas encore fixé en français. C’est par un emprunt au vieux français que le mot est rentré dans le vocabulaire anglais, prenant et figeant de ce fait la connotation que le mot avait à l’époque, à savoir de quelque chose d’utile, ayant plusieurs usages ou applications, donc un sens positif. Le premier usage a été relevé dans le traité Of the Avancement of Learning de Francis Bacon au début du XVIIème siècle.

Le français semble n’avoir retenu que le coté girouette du mot et en l’appliquant aux personnes, lui a donné une connotation péjorative.

En dépit de cette opposition de connotation entre les deux langues, notez, néanmoins que toutes deux ont gardé le même sens spécialisé du mot en zoologie : le doigt versatile de l’oiseau est un doigt capable de tourner en avant ou en arrière. On qualifie ainsi l’antenne de certains insectes.

Somme toute, il convient sans doute d’être versatile pour savoir sur quel pied danser.

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Sean Manning grew up on the west coast of Canada and completed a Master’s degree on the revolt of Cyrus the Younger at the University of Calgary in 2013.  He is currently writing a doctoral d…

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Le dégorgement de la loi Sarbanes-Oxley : l’arrêt SEC c/ Jensen du 31 août 2016

La loi Sarbanes-Oxley du 30 juillet 2002 a introduit par son article 304 la notion de dégorgement – clawback – des bonus et autres rémunérations incitatives reçues par les directeurs généraux -CEO- et les directeurs financiers lorsque leur société doit réviser ses comptes en raison de mauvaise gestion (« misconduct »). Pour la première fois, une cour d’appel fédérale vient de décider si les cadres devant dégorger leur rémunération doivent avoir été personnellement impliqués dans cette mauvaise gestion. C’est le thème du commentaire d’arrêt que je viens de publier dans le Bulletin Joly Bourse No10 du 01 octobre 2016 : https://www.lextenso.fr/numero_revue/bulletin-joly-bourse/158/10/1475272800  p.444

 

 

Un cheval, des chevaux : pourquoi?

 

Vous êtes vous jamais posé la question : pourquoi le pluriel de cheval est-il chevaux ou celui de travail travaux? Peut-être avez-vous été en panne d’idées lorsqu’un enfant vous posait la question quand vous le repreniez pour avoir dit chevals ? Pour y répondre, il nous faut, à l’instar du Voyageur Temporel de H.G. Wells, remonter dans le temps pour, au gré des batailles, écouter les soldats parler de leurs chevaux et ainsi retrouver la forme, et la prononciation, initiale du mot et leur évolution. L’invisibilité que notre merveilleuse machine nous confère nous permettra tout au cours de ce voyage dans le temps d’écouter et de lire par-dessus l’épaule des scribes sans être ni vus ni entendus.[1]

Pour point de départ, transportons-nous le 1er août 216 avant J-C. dans la tente des consuls Gaius Terencius Varro et Lucius Aemilius Paullus qui alternaient à la tête de l’armée romaine à la veille de la bataille de Cannae[2] , la cuisante défaite de Rome par Hannibal. Les consuls parlent un latin intermédiaire entre le latin archaïque et le latin classique : on distingue bien les six cas des cinq déclinaisons, les accents toniques s’entendent bien ainsi que les diphtongues [axe], [one] et [au][3], et les voyelles longues et brèves sont toutes bien distinctes et reconnaissables[4] : on croirait qu’elles sortent de notre bon vieux Gaffiot !

Conscients de l’excellence de la cavalerie d’Hannibal, les consuls donnent des instructions pour le soin des equi puis l’un ordonne un de ses aides d’aller acheter des cabállos. A cette époque les locuteurs distinguent encore Equus, le cheval, de cabállus= rosse ou cheval hongre. Cette distinction disparaîtra par la suite.

Écoutons ensuite les equites [5]de Marc Antoine lors du siège d’Alésia par Jules César en septembre 52 av. J.-C. : le [-m] final est avalé. Ils ne disent plus cabállum mais kabállu à l’accusatif singulier.

Un peu plus tard, vers la fin du Ier siècle, la prononciation de kabállu a encore changé : le [b] semble avoir glissé pour devenir kaβállu, le [β] correspond au [b] de l’espagnol saber[6].

Faufilons-nous dans le camp d’Aurélien s’apprêtant à livrer bataille aux Alamans à Pavie en l’an 271 de notre ère : de kaβalu la prononciation est passée à kavállu[7].

La fin de l’Empire, entre la mort de Théodose en 395 et l’abdication de Romulus Augustulus en 476, et les invasions barbares qui l’accompagnent, entraînent d’importants changements non seulement dans la prononciation mais aussi dans la morphologie du mot.

Pour notre propos, contentons nous d’observer les grands bouleversements qui agitèrent la Gaule du V ème siècle.

Dès le milieu du IVème siècle les Francs et les Alamans obtiennent de Rome le droit de s’établir entre le Rhin et la Moselle d’où des contacts entre des populations germanophones et celles qui parlaient latin. Le 31 décembre 406 nous observons des familles de Vandales, d’Alains et de Burgondes traverser le Rhin gelé pour venir se fondre dans les populations locales de Boulogne à l’Aquitaine, dans la vallée du Rhône et en Provence. Les apports germaniques auront une influence notable sur la transformation du latin en proto-français [8]

Un peu plus tard, en 417, nous suivons l’invasion des Wisigoths qui arrivent à Toulouse et en 428 nous voyons Clodion, roi des Francs saliens s’emparer de Cambrai et atteindre la Somme puis en 443 c’est la fondation du royaume des Burgondes.

Au début de l’an 451 Attila traverse le Rhin et, après avoir incendié Strasbourg, il arrive devant Paris en avril. De loin, sans nous y attarder, nous observons Sainte Geneviève négocier le salut de la population parisienne. Puis, en accéléré, la grande bataille des Champs Catalauniques se déroule, sous nos yeux : Attila et ses alliés les Gépides et les Ostrogoths affrontent les Romains et leurs alliés les Francs, les Wisigoths et les Burgondes qui vainquent Attila. Que de brassages linguistiques à l’occasion de ces batailles ! . Les légionnaires romains ne prononcent plus kabállu mais kavállɔ[9].Enfin, nous survolons la prise de Lyon par les Burgondes et de Narbonne par les Wisigoths pour en arriver à l’avènement de Clovis en 481 et à la bataille de Soissons par laquelle il défit Rome. Profitant de notre invisibilité, nous l’observons lors de l’épisode du fameux vase et notons qu’il ne parle pas du tout le latin mais un dialecte germanique : le francique[10].

Au cours du Vème siècle,par suite d’un phénomène de palatisation[11] du [k] quand il est suivi d’un [a] qui lui-même se ferme en [e] (=é dans blé)[12],le [k] devient un [tʃ] [13](=tch comme  chop en anglais) de sorte que notre  kavállu de la fin du IVème siècle se prononce tʃevállɔ (=tchévallo+/- en graphie de français moderne) tout comme à la même époque le castellum du latin classique est devenu à l’oreille tʃastéllɔ[14].Notons, que la forme du pluriel n’a pas encore divergé du singulier puisque l’adjonction d’un [s] suffit[15]pour former le pluriel.

Lorsque les Ostrogoths mettent Rome à sac en 546, les légionnaires parlent un latin dans lequel les différences entre les cas des noms ont pratiquement disparu. Là où le latin utilisait les six cas pour exprimer un raffinement de la pensée, les locuteurs du VIème siècle n’en distinguent que deux : le nominatif et l’accusatif »[16].

C’est pour cela que le proto-français, ne connaît plus que deux cas [17]: le cas-sujet, correspondant à l’ancien nominatif et le cas-régime, correspondant à l’accusatif, les autres cas étant repris dans l’accusatif.

Un peu plus tard, au VIIème siècle, le [ɔ] final de ʧevállɔ        disparaît et la géminée[ll] se simplifie en [l][18] d’où ʧevál .C’est de la disparition du [ɔ] final que vient la différence entre le singulier et le pluriel de cheval .Par quel mécanisme demandez-vous?Comme vous le constatez, la syllabe finale du mot au pluriel se termine par deux consonnes au pluriel, le [al] devenant [als] ce qui a entraîné un affaiblissement du [l], consonne alvéolaire, pour devenir ce que les spécialistes appellent un « l vélaire »,[ł],prononcé comme le [l] de  twelve [19].

Lorsque les petits-fils de Charlemagne, Charles le Chauve et Louis le Germanique, devant leurs troupes, font serment d’assistance mutuelle contre leur frère Lothaire en 842, le [ł] a encore évolué : il s’est transformé en [w] (comme dans wood) pour donner une prononciation de ʧeváws [20] pour le pluriel de ʧevál.

Au XIème siècle, deux autres changements de prononciation interviennent : le [e] (=é comme blé) devient muet [ə] (=e muet comme me) et la vocalisation de [-ws] se poursuit pour former une diphtongue, dite de coalescence [21],avec la voyelle qui précède pour devenir [áus]. Notre ʧevál devient ʧəvál (=tcheval en graphie actuelle et non plus tchéval) et son pluriel, ʧeváws, devient ʧəváus (=tchevaous)[22].

A entendre les cavaliers de Philippe Auguste se préparant à livrer la bataille de Bouvines (1214) on remarque que la consonne [ʧ] a été simplifiée pour être ainsi prononcée [ʃ] (=chant en français ou shop en anglais) [23]ce qui nous donne ʃəvál et ʃəváus au pluriel.

Deux siècles et demi plus tard, lors de la bataille de Castillon (1453), malgré les assourdissantes canonnades, nous parvenons à déceler la prononciation des soldats de Jean Bureau [24]: le e muet [ə] est devenu un [ø] (=eu comme dans peu) mais la diphtongue finale est encore présente. Les soldats prononcent donc un ʃøvál et des ʃøváus.

Pour enfin arriver à la prononciation moderne, ʃøvál =cheval et ʃøvo= chevaux [25], il nous faut attendre la capture de Calais en 1558 et son retour à la France après deux siècles d’occupation anglaise. Ce n’est en effet au XVIème siècle qu’est vraiment attesté la monophtongaison de la diphtongue [au] qui devient [o][26].

Ainsi se termine notre excursion temporelle de 17 siècles qui nous a permis de suivre l’évolution de la rosse, cabállus, du Ier siècle avant J-C, au cheval blanc d’Henri IV !

©2016 Pierre F.de Ravel d’Esclapon

 

 

[1] Nous utilisons ici l’Alphabet Phonétique International. Pour mémoire, [e]=é dans blé ; [u]=ou dans cou ; [ʃ]=ch dans chant ou shop en anglais ; [ʧ]=ch dans chop en anglais ; [œ]=eu dans peu ; [w]=oui ou water en anglais ; [ɔ]=o dans mol ; [ə]=e muet comme dans me. L’accent aigu sur une voyelle dénote un accent tonique sur la voyelle. Le symbole [:] après une voyelle signifie l’allongement de celle-ci.

[2] Les amateurs d’histoire militaire ne manqueront pas d’apprécier que le double encerclement utilisé par Hannibal pour la première fois dans l’histoire connue soit employé par de nombreux stratèges, dont Napoléon, et conduisit à la défaite de la 6ème Armée du Reich à Stalingrad.

[3] C’est ainsi que Caesar prononcé Kaesar a donné Kaiser en allemand.

[4] Jozsef Herman Vulgar Latin (2000) p.27 et seq. note que, par exemple, malum signifie mauvais alors que ma : lum signifie pomme.

[5] Membre de l’ordre (ordo equester) de la cavalerie à Rome.

[6] Le [b], consonne occlusive bilabiale, a perdu son occlusion pour se transformer en constrictive bilabiale sonore notée [β] : Geneviève Joly, Précis de phonétique historique du français (2004) p.102; Herman, op.cit. p.45.

[7] Lorsque le [β] est précédé d’un [a] il se transforme à cette époque en labiodentale [v]: Joly, id. Le [v] est un phonème que le latin classique ne connaissait pas : le [v] des inscriptions ou des textes classiques se prononçait [w] comme dans oui ou water.

[8] Les chercheurs estiment que celui-ci avait cours du V ème siècle à la fin du IX ème siècle : Mireille Huchon Histoire de la langue française (2002) p.27-52

[9] Dans la première moitié du Vème s. le [u] final s’est ouvert en [ɔ] (= [o] dans mol) : Joly, op. cit., p.67, Gaston Zink Phonétique historique du français (1986), p.108

[10] Le francique de Clovis, dont très peu de traces sont restées, se rattachait au bas-allemand, ancêtre du néerlandais. Cf. William H. Bennett An Introduction to the Gothic Language (1972) p.14-15. Pour une liste de mots venant du francique cf. Huchon op.cit. p.49-50.

[11] Il s’agit de la prononciation d’un son plus près de la partie du palais dur qui rend celui-ci plus proche d’une consonne palatale. La palatisation joue un rôle capital  non seulement dans les langues romanes mais aussi dans les langues slaves, dans le japonais, le chinois et les langues de l’Inde.

[12] Zink op.cit. p.115 sur les hypothèses concernant un éventuel effet de Bartsch.

[13] Pour une discussion de la transition entre [k] et [t∫] en passant par l’étape intermédiaire de la sourde [ķ] par suite de l’élévation du point d’articulation du [k] jusque dans la zone médio palatale puis de son avancée dans la zone pré palatale : cf. Joly op.cit. p.90

[14] Zink p.108 cf. château < tʃastéllɔ et Karolus qui a donné Charles. Les lectrices attentives auront remarqué que le [a] de kastéllu ne s’est pas transformé en [e] : dans ce cas le [a] est entravé (il est suivi de 2 consonnes [st]) alors que dans le cas de kavállu, le [a] est libre n’étant suivi que d’une consonne d’où la différence de transformation : cf. Zink op.cit.108

[15] Après l’élimination du [m] final, le [s] a servi à distinguer le nominatif singulier de dominus de l’accusatif singulier dominu[m] : cf. Herman, op.cit. p.42.La chute des consonnes finales avait commencé très tôt puisqu’un graffito découvert à Pompéi se lit : »quisquis ama ualia, peria qui nosci amare » alors que la formulation classique eût été : »quisquis amat ualeat, pereat qui nescit amare« =longue vie aux amants, mort à ceux qui ne peuvent aimer. On voit bien que dès cette époque, le [t] final s’était amuï : Herman, id.

[16] Herman, op.cit. p.56-57

[17] Huchon op.cit. p.77

[18] Joly op.cit. p.131

[19]Le [ɫ] est une consonne apico-alvéodentale : Zink op.cit.p.130 : ce processus de vocalisation et de vélarisation du [l] antéconsonnantique primaire a débuté beaucoup plus tôt que dans le cas des [l] antéconsonnantiques secondaires : dès le IIIème siècle pour le premier, comme dans alba devenu ałbə puis aube alors que pour les seconds il fallu attendre le VIIIème siècle pour qu’intervienne la vélarisation du [l].E. et J. Bourciez, Phonétique française(1982) p.190 §191 expliquent  la formation des mots qui ont un [l] final et montrent comment certains finissant en [-al] au singulier ont un pluriel en [-aux] alors que d’autres, tels que  chapeau ou château ont un singulier tiré du pluriel.

[20] La perte du contact apico-alvéodentale en est la raison : Joly, op. cit. p.101.

[21] Zink, op.cit., p.133-136

[22] Joly, op.cit., p.101, explique pourquoi dans les manuscrits de l’ancien français la séquence –us issue de la vocalisation du [l] est souvent rendue par –x et comment le [l] implosif a évolué de alteru à autre, de bellus à biaus par exemple.

[23] La consonne affriquée mi-occlusive [ʧ] s’est transformée en chuintante sourde [ʃ]

[24] Jean Bureau commanda les troupes de Charles VII lors de cette bataille qui marqua la fin de la Guerre de Cent Ans et qui fut la première bataille où les canons jouèrent un rôle décisif.

[25] La graphie du moyen français utilisait indifféremment les terminaisons [-s], [-x] et [-z] pour marquer le pluriel : Huchon op.cit. p.73 pour la dérivation de chevaux à partir de la graphie chevax rencontrée en ancien français et l’explication de l’emploi de la lettre [x]. Cf. Joly op.cit. p.101.

[26] Zink op.cit., p.135

Allure, bond, chat et autres homographes

Parmi le millier de faux-amis français-anglais, il est un sous-ensemble certes comportant peu d’éléments mais intéressant : celui des homographes. Par ce terme, les linguistes désignent les mots qui en français et en anglais ont une orthographe identique sans avoir ni sens voisin ni étymologie commune. Parfois la raison en est que le mot anglais provient du germanique alors que le mot français provient du latin. Dans d’autres cas, les mots sont chacun un emprunt à l’ancien français ou au moyen français mais de mots différents ou encore proviennent de deux mots latins différents.

Voici quelques exemples qui n’ont pas la prétention de constituer une liste exhaustive des homographes français-anglais. J’invite mes lectrices et lecteurs à la compléter.

Allure

Le verbe anglais signifie attirer ou tenter par quelque chose de flatteur ou de désirable, fasciner, charmer. Ce verbe est un emprunt au Moyen Français alurer = utiliser un leurre (=lure en anglais moderne) mot tiré du vocabulaire de la fauconnerie. Le leurre désignait un morceau de cuir rouge auquel un appât était attaché pour faire revenir le faucon. Ce mot provient du francique *lopr=appât[1], cf. luoder= appât en moyen haut allemand. De la fauconnerie, le sens du mot leurre a évolué pour signifier du XIVème au début du XVIIème siècle « artifice qui sert à attirer quelqu’un pour le tromper »[2]. De cette acception on voit aisément l’évolution du sens du verbe anglais.

En français, le mot allure signifie manière d’aller, de se mouvoir ou, par extension et au figuré, manière dont se présente une personne ou une chose. Le mot provient de l’ancien français aleure=vitesse de déplacement, train, marche[3] lui-même dérivé du verbe aller[4].Nous sommes donc bien loin du leurre !

Bond

En anglais moderne le mot signifie une obligation= lien de droit entre une ou plusieurs personnes comme dans l’expression My word is my bond= la parole que je donne est mon obligation. Il signifie également une obligation au sens d’instrument financier négociable. Ce mot, provenant de Scandinavie, fait son apparition vers le XII ème siècle avec le sens de choses qui lient rappelant le mot français bande. En moyen anglais, le mot bond a pris le sens de serf donc de personne liée à la terre d’où le mot bondage=état de servitude, esclavage. Au XIVème siècle, le mot bond a pris le sens d’accord qui lie[5].

En français moderne, le bond donne l’idée de saut, de mouvement. Le sens premier de bondir était retentir qui était encore un sens usuel au XVIème siècle [6]. Selon le Trésor informatisé de la langue français , il s’agit d’un « Emprunt au latin vulgaire bombitire, var. de *bombitare fréquentatif de bombire « bourdonner (des abeilles) », lui-même dér. de bombus « bourdonnement des abeilles, bruit retentissant », gr., onomatopée ; le changement de sens est dû à un changement de registre : à l’impression auditive de sons montants et descendants s’est substituée une impression visuelle de même rythme. »

Parmi les autres homographes, signalons :

Chat =bavardage en anglais, provenant du gothique de l’ouest, sens bien éloigné de l’animal domestique auquel il nous arrive de donner notre langue. Le mot français provient du latin cattus qui serait un emprunt d’une langue africaine[7].

Chair= morceau de viande en français, de caro carnis en latin et =chaise en anglais, de  cathedra en grec.

Comment= commentaire en anglais, de commentum=interprétation, invention, du participe passé de comminisci= penser à, inventer ; comment= interrogation en français, de comme au IXème siècle, de quomodo ablatif de quis=chacun et modus=mode[8].

Courtier. En anglais, le mot signifie à la fois une personne présente à la cour royale et aussi un flatteur. L’anglais a emprunté le mot à l’ancien français cortier=juge[9]. En français, le mot signifie un intermédiaire. Il provient de de l’ancien français courretier, curratier ou corratier tous dérivés de courre /courir car l’intermédiaire courrait entre l’acheteur et le vendeur[10] !

Don. Le don britannique comme verbe signifie mettre un article de vêtement (don her gloves=mettre ses gants, contraction de do on= mettre attesté au XIVème siècle) et comme nom soit un professeur d’université soit un chef de la Mafia. Ces derniers sens proviennent du latin dominus= seigneur, maitre. Le don français provient du latin donum= action de donner.

Dot. Le mot français provient également du latin classique dos, dotis du même sens avec toujours l’idée de donner. Le mot anglais qui signifie aujourd’hui un point comme celui mis sur la lettre « i » provient du vieil anglais dott=tache, manifestation d’une folliculite. Le sens de petite tache est apparu en 1674 et celui de petite marque ronde en 1748[11].

Fat. Le sens anglais de graisse provient du vieil anglais faetten= bourrer, à rapprocher de l’allemand Fett= graisse alors que le mot français provient du latin classique fatuus=fade, extravagant, insensé. Rabelais en 1534 utilise[12] le mot fat dans le sens de sot et Boileau en 1666 dans le sens de « personne pleine de complaisance pour elle-même »[13]

 

[1] Bloch et von Wartburg Dictionnaire étymologique de la langue française sub nom. leurre

[2] Trésor informatisé de la langue française (Trésor) sub nom. leurre

[3] Trésor sub nom. allure

[4] Bloch et von Wartburg  aller

[5] Chambers Dictionary of Etymology

[6] Bloch et von Wartburg sub nom.  Bondir, Trésor id.

[7] Bloch et von Wartburg signalent le mot nubien kadis=chat et le mot berbère kadiska =chat et estiment que cat en anglais et Katze en allemand proviennent du roman

[8] Rey Dictionnaire historique de la langue française

[9] Godefroy Lexique de l’ancien français

[10] Bloch et von Wartburg, Trésor sub nom. Courtier

[11] Chambers dot

[12] Rabelais, I, 21, Trésor.

[13] Satire, V, 5

“En charge de”

Si le journal Le Figaro estime utile de mettre en ligne un outil, le Conjugueur ( http://leconjugueur.lefigaro.fr/) pour aider à maitriser les difficultés du français, ses journalistes truffent leurs articles d’anglicismes. Voici l’un des plus répandus et des plus faciles à corriger : l’emploi de l’expression en charge de. Exemples recueillis au hasard des pages récentes du Figaro :

Le 27 juillet 2016, Caroline Piquet, écrivait : « En mars 2016, la juge d’instruction en charge du dossier… » et « Pour savoir si elle devait libérer ou non Kermiche, la juge antiterroriste en charge du dossier c’est en partie reposée… » (« Adel Kermiche, sous bracelet électronique, a-t-il trompé les juges ? »).

Le 19 aout 2016, p. 6 Thibault Varga écrit « … Norbert Pap, historien et géographe de l’université de Pécs, en charge de l’équipe de recherche. » (« Soliman le Magnifique en terre hongroise ») et, même page, Nicolas Barote écrit : « Ils sont en charge de cette question au niveau régional. » (« Le débat sur la burqa resurgit en Allemagne »)

Comme l’a observé l’Académie française dans sa chronique Dire/ ne pas dire,  «  l’expression « être en charge de » est un anglicisme très répandu qui remplace trop souvent les expressions justes Avoir la charge de, Être chargé de. » L’académie en profite pour fustiger également les anglicismes Être en responsabilité de ou Être en capacité de. (http://www.academie-francaise.fr/en-charge-de-en-responsabilite-de-en-capacite-de)[1] .

Cette locution est un calque de l’anglais in charge of. Les mots charge en français et en anglais ont la même étymologie, carricare en bas latin, dérivé de carrus=chariot, mettre quelque chose dans un chariot. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, l’usage anglais ne différait pas du français. Ainsi, dans Comedy of Errors , Shakespeare fait dire à Antipholus: “Where is the gold I gave in charge to thee?” (Acte 1, sc.2) =où est l’or dont je t’ai donné la charge. Comme en français, l’anglais utilise le mot charge pour signifier le poste que l’on occupe ou que l’on achète. Vers le milieu du XIXème siècle, sans doute par extension du sens de poste ou charge, l’usage anglais commence à évoluer outre la voix passive traditionnelle the children are in charge of the nurse on voit apparaitre la voix active the nurse is in charge of the children (Oxford English Dictionary « OED » sub nom. Charge.) Ainsi, l’OED note qu’en 1859 Florence Nightingale dans ses Notes on Nursing iii.24 écrivait “No one seemed to know what it is to be “in charge” or who was in charge”.

C’est donc cet usage récent de la voix active en anglais qui continue d’être calqué en français par paresse intellectuelle et sans égards au bon usage.

 

[1] Cf. aussi les remarques de l’Office québécois de la langue française http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=844

 

Glamour et grammaire

“Cocktail explosif, Marina a deux âmes, l’une radicale, l’autre glamour” (« Marina Abramovic, le gourou de la performance » Le Magazine du Monde 10 janvier 2014), “Que rêver de mieux pour la presse populaire qui trouve là des images, des récits et du glamour à tous les étages ? » (Le Point 10 janvier 2014 « Comment la presse people a déshabillé les politiques »). Que signifie ce mot « glamour » que l’on retrouve depuis le 1er janvier dans 4 articles du journal Le Monde, dans 5 articles de Libération et dans 6 articles dans le Point ?

C’est en vain que l’on peut chercher le mot dans la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie française ou dans le Trésor de la langue française[1]. Selon Le Dictionnaire culturel en langue française (Alain Rey Ed. Robert) le mot est un emprunt à l’anglais datant de 1970 signifiant « charme (dans le domaine du spectacle, de la mode) ».Le Larousse version électronique nous informe que ce nom masculin vient de l’anglais (= séduction) et signifie « Type de sex-appeal sophistiqué, caractéristique de certaines stars hollywoodiennes  (Rita Hayworth, Lana Turner etc.,). De même, le Petit Robert informatique donne le sens de « Charme sophistiqué (dans le domaine du spectacle, de la mode) ».

En anglais moderne glamour  a le sens de «  qualité très excitante et attrayante, attirance romantique excitante et souvent illusoire » (Merriam-Webster).Ce sens moderne est récent : il date des années 1870.Au XVIIIème siècle les poètes écossais comme Allan Ramsay utilisaient le mot « glamour » dans le sens de « sortilège fascinant particulièrement pour tromper les yeux »[2] A cette époque, on jetait un glamour. C’est le grand auteur écossais Sir Walter Scott qui  a introduit le mot glamour dans la littérature anglaise dans son poème The Lay of the Last Minstrel (1805) .Le gobelin Page jette un sort : « It had much of glamour might »[3] le mot ayant ici le sens de « délusion induite par magie ».

Le mot  glamour provient de l’anglo-normand glomerie qui signifiait grammaire.

Pour comprendre comment on est passé de grammaire à enchantement ou sortilège il faut se reporter au sens du mot grammaire en ancien et en moyen français. Au XIIème siècle grammaire et grimoire orthographiés gramaire et gramoire étaient utilisés indifféremment [4] .Le premier usage attesté de gramaire comme livre savant est dans le Bestiaire écrit par le poète anglo-normand Philippe de Thaon vers 1125 à la cour d’Henri Ier  fils de Guillaume le Conquérant : « PHILIPPE de Taun en Franceise raisun Ad estrait Bestiaire, un livere de gramaire[5] ». Comme la grammaire latine était  inintelligible pour le commun des mortels le mot a acquis la connotation  d’ouvrage dont le sens paraissait secret relevant de la magie. Ainsi, un gramaire signifiait à la fois un grammairien, un savant et un magicien[6] . le  gramoire du XIIème siècle est devenu grymoire au XIIIème s. avec le sens de livre de sorcellerie[7].

Le gramaire de l’ancien français apparait aussi outre- Manche sous le nom de gramerye (prononcé grammerie). C’est par dissimilation que le  premier /r /de gramerye, consonne liquide, s’est transformé en / l /autre consonne liquide également voisée, de la même manière que le /r/ du latin peregrinus (= étranger) est devenu /l/ pour donner pèlerin  et pilgrim en anglais[8].On retrouve l’association glomerie/grammaire dans l’office de Magister Glomeriae qui figure dans la charte de l’université Cambridge[9]. Ce dernier avait pour fonction la supervision des « grammar schools » dont les élèves étaient des glomerelli. En Moyen Anglais (1154-1485) le mot gramerye[10], comme le mot grammaire en moyen français (1340-1611), signifie à la fois « grammaire » et  «  magie, sciences occultes »[11].Comme gramaire et grymoire  furent longtemps très proches, sinon interchangeables, le moyen français ajoutait au sens traditionnel d’  « ensemble de règles pour le bien parler et le bien écrire » la connotation  d’ouvrage dont la lecture permettait d’invoquer le diable.

S’il a fallu attendre 1840 pour que le mot glamour en anglais acquière le sens de beauté magique, charme séduisant, on peut supposer que les écoliers d’aujourd’hui, adeptes du style télégraphique en vogue dans les communications électroniques, pensent, comme leurs ancêtres moyenâgeux, que la grammaire a quelque chose de diabolique !


[1] Dans la définition de l’adjectif « équivalent »  une citation de 1928 indique que « « glamour » est sans équivalent dans notre langue », citation reprise dans la définition du mot « lexique ».

[2] The Poems of Allan Ramsay vol.2 Allan Ramsay, George Chalmers, Lord A. Woodhouselee (1877) glossaire p.xi, fable “The Monk and the Miller’s Wife”: “Lest glamour had beguil’d his een” p.365.Cf. aussi Stephen Gundle Glamour, a History Oxford University Press 2008

[3] Canto 3 vers 103

[4] Greimas Dictionnaire de l’ancien francais

[5] « Philippe de Thaun a traduit en français le Bestiaire un livre de grammaire”

[6] Godefroy Lexique de l’ancien francais

[7] Dubois, Mitterrand et Dauzat Dictionnaire d’étymologie, Larousse: « grimoire XIIe (gra-) ; XIIIe Fabliau (gri-) var. labialisée de grammaire »

[8]On est passé d’abord à pelegrin qui a donné pèlerin et  pilgrim. La forme latine se retrouve dans “pérégrin” et  «  faucon pérégrin »

[9] Hastings Rashdall The Universities of Europe in the Middle Ages: pt. 2 English Universities (1895) p.555 et n.3

[10] Concise Oxford Dictionary of Etymology

[11] Greimas et Keane Dictionnaire du moyen français Larousse

Observations sur la fête américaine Thanksgiving

Observations sur la fête américaine Thanksgiving

En 1952, l’humoriste américain Art Buchwald, alors jeune correspondant à Paris, avait voulu expliquer à nos compatriotes ce qu’est la fête de Thanksgiving. Son article « Le Grande Thanksgiving »[1] eu tellement de succès que chaque année, jusqu’à sa mort en 2007, son article était republié lors de Thanksgiving. Buchwald écrivait que  Thanksgiving Day était connu en France sous le nom de « Jour de Merci Donnant » !

Le mot « merci » a-t-il le même sens que le mot « thank » dans Thanksgiving ? L’étymologie met en relief une différence intéressante. Le mot « merci » vient du latin mercedem, accusatif de merces,-edis = prix payé pour une marchandise (merx, mercis d’où Mercure, mercuriales et mercredi) puis « salaire, gages » et au figuré « récompense ou punition »[2].Selon Ernout et Meillet le nom « merx » est « sans étymologie connue ».A la basse époque le sens de mercedem  a évolué pour signifier « grâce, faveur que l’on accorde à quelqu’un en l’épargnant ». Chez les auteurs chrétiens le mot est « employé au sens de « bienveuillance, pitié, grâce (céleste) et concrètement pour « œuvre pieuse, donation » »[3].

En français, le mot  merci apparait la première fois au 14eme vers du Cantilène de Sainte Eulalie vers 880 : « Qued auuisset  de nos Christus mercit « = « et que le Christ nous prenne en pitié » [4].Le sens de « grâce, miséricorde, pitié »  se retrouve dans de nombreuses expressions comme  demander merci, crier merci, être à la merci de. Selon Baumgartner et Ménard[5] en ancien français (900-1340) le sens de « grâce, pitié » est le sens habituel de merci. Dès le XIIIème siècle  les expressions « sanz merci »(=   sans pitié  ) et « recevoir aucun a merci » (= gracier quelqu’un) en témoignent. En moyen français (1330-1500) le sens reste celui de « récompense, faveur,  pitié, grâce » ainsi qu’on peut le noter dans La Ballade des pendus de Francois Villon :

« Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les cueurs contre nous endurciz,
Car, si pitié de nous pouvres avez,
Dieu en aura plustost de vous merciz. »[6]

Le mot « merciz » est ici utilisé dans le sens de « miséricorde » qui est à rapprocher  de l’anglais « mercy » =miséricorde, pitié.

En français moderne le sens retenu par l’Académie française est : «  Miséricorde, bon vouloir par lequel on épargne quelqu’un…. Pour exprimer sa reconnaissance, pour rendre grâce »[7].

Ainsi, le mot « merci » sous-entend  une relation verticale reposant sur un lien de dépendance entre le dispensateur de la grâce, de la pitié ou du bon vouloir  et celui qui en bénéficie. L’expression par le mot « merci » d’un sentiment de gratitude, avérée dès le XIIème siècle, provient du fait que la gratitude est la conséquence de la grâce reçue[8].

Toute autre est l’étymologie du verbe « to thank ».Ce verbe apparait dès 1175 sous la forme  thanken lui-même dérivé de thancian en vieil anglais[9]comme on le retrouve dans Beowulf[10] en 725.Signifiant «  pensée, bonne volonté, gratitude » ,il provient du proto-germanique *thangk-,*thengk[11]  d’où sont issus les verbes « danken » et « denken » en allemand moderne.Cette racine proto-germanique   a également produit le verbe anglais « to think ».Au XIIème siècle, le mot « thank » signifiait « penser ».La racine indo-européenne tong- signifie « penser, ressentir , apparaitre à quelqun»[12]. Cette racine a la connotation de « réfléchi, attentionné, de bonne volonté ».D’elle est issu le verbe latin tongere=savoir. Graduellement, de « penser, penser à » le sens a évolué vers « penser favorablement, avec bonne volonté » pour ensuite exprimer la gratitude.

L’étymologie de « thank/think » ne montre donc que ce mot ne sous-entend aucune relation verticale de dépendance entre deux personnes, entre la nature et l’homme ou entre la Divinité et l’homme. Au contraire, il est le reflet de ce que le locuteur plein de bonne volonté pense d’autrui.

Dans cette optique, le lecteur pourra donc apprécier à sa juste valeur ce qui a motivé la proclamation première fête de Thanksgiving  par George Washington en 1789. Après la laborieuse rédaction de la constitution  américaine en 1787, sa ratification exigeait son approbation par les assemblées constituantes de neuf des treize Etats. Comme l’opinion publique de certains Etats dont New York, le Massachussetts et la Virginie était contre la ratification au motif que la Constitution ne garantissait pas suffisamment les libertés individuelles, James Madison a proposé au premier Congrès américain un certain nombre d’amendements[13].Parmi ces amendements ,le premier comporte les clauses dites d’établissement et de libre expression :  « Le Congrès ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion, (aucune loi) qui interdise le libre exercice d’une religion  ».

Lorsque le texte du premier amendement a été approuvé par le Congrès le 25 septembre 1789, Elias Boudinot[14], représentant du New Jersey, a proposé et le Congrès l’a accepté, que le Président Washington « recommande au peuple américain que soit observée une journée de remerciements et de prières »[15].Le 3 octobre 1789, George Washington faisait sa célèbre proclamation [16], Thanksgiving Day Proclamation dans laquelle il déclarait que la journée du jeudi 26 novembre 1789 serait consacrée au remerciement de la Divinité par le peuple américain pour la Constitution , le nouveau gouvernement fédéral et pour « les libertés civiles et religieuses dont nous jouissons ». Le premier amendement comme le texte de la proclamation est le reflet d’une grande tolérance religieuse[17]. Il est remarquable qu’Elias Boudinot, homme très dévot qui fut par après le fondateur de l’American Bible Society, ait voulu ainsi montrer son attachement à la tolérance religieuse[18].

C’est ainsi que l’on peut considérer que la première fête officielle du premier gouvernement américain mérite étymologiquement le nom de Thanksgiving.


[2] Ernout et Meillet Dictionnaire étymologique de la langue latine “Ernout& Meillet”

[3] Robert Dictionnaire historique de la langue française

[5] Dictionnaire étymologique et historique de la langue française

[6] Publiée vers 1489 après sa pendaison. Le texte  provient de http://www.gutenberg.org/files/12246/12246-h/12246-h.htm .p.101

[7] Dictionnaire 9ème éd.

[8] Le mot grâce vient du latin gratia=reconnaissance, faveur. Le mot latin vient de l’adjectif gratus=accueilli avec faveur: Robert précité.

[9] Le vieil anglais ou anglo-saxon est la langue parlée du IIIème s. à la conquête normande en 1066.

[10] Chambers Dictionary of Etymology

[11] John Ayto Dictionary of Word Origins.

[12] C. Watkins American Heritage Dictionary of Indo-European Roots, Pokorny Indogermanisches etymologisches Wörterbuch p.1088; J.T. Shipley The Origins of English Words: A Discursive Dictionary of Indo-European Roots.

[13] Dix ont été adoptés et constituent le Bill of Rights (Déclaration des droits).

[14] Ancien president du Continental Congress ce Huguenot était issu d’une famille originaire d’Aunis en Saintonge.

[15] Annals of Congress 1789 1:949

[17] Cf.la discussion de cette proclamation et de son contexte par Rehnquist J. dans l’arrêt de la Cour Suprème Wallace c.Jaffree 472 U.S. 38 (1985) aux pp.91-108

[18] Il est vraisemblable que les souvenirs familiaux de la Révocation de l’Edit de Nantes aient joué un rôle dans sa philosophie.

Curateur ou conservateur ?

Dans la section Culturesmadame du Figaro Madame du 22 juin 2013 (p.42) une question est posée : « Qu’est-ce qu’un curateur ? ». La réponse : « Nouvelle figure de l’art contemporain, le curateur (de l’anglais to care : prendre soin) a émergé au cours de ces dernières années. Espèce de néocommissaire, faiseur d’exposition autour d’un propos, il n’est ni galeriste ni conservateur mais plutôt le compagnon des artistes. »

Cette réponse, à son tour, soulève deux questions : peut-on ainsi utiliser le mot curateur et ce mot vient-il effectivement du verbe anglais to care ?

Si l’oreille attentive reconnait la filiation entre  curateur et le verbe curo, curare  qui, dans la langue de Cicéron, signifiait se soucier de, prendre soin de peut-on conclure que le verbe anglais to care est apparenté au verbe latin du même sens ? Non ! Le verbe anglais a pour origine le verbe kara en vieux saxon et en gothique qui signifiait chagrin lui-même dérivé du vieux haut allemand chara =cri de douleur, lamentation. On retrouve ce sens dans le mot allemand moderne  Karfreitag =vendredi saint. En remontant dans l’histoire du mot, on s’aperçoit que l’on est passé de l’expression de l’émotion à la cause de celle-ci : la racine proto- indo-européenne *gar, certes reconstituée, est une racine expressive signifiant  appeler, crier (Pokorny Indogermanisches etymologisches Wörterbuch 352).Le grec ancien l’a reprise dans le mot γηρυσ =la voix ainsi que le latin dans le verbe garrire =bavarder, parler rapidement, babiller , l’allemand moderne dans le verbe girren =roucouler et l’anglais dans garrulous =volubile, bavard.

Ainsi, le verbe anglais  to care est issu d’un étymon dont le sens premier est  cri  qui a évolué en lamentation  puis en chagrin puis en anxiété, en expression de deuil  transformé en souci. Il n’a aucune parenté avec le verbe latin curo, curare dont le sens premier est avoir soin de, guérir  d’où curateur, et sa famille de mots : cure, curatif, incurable, curer, cure-dents, cure-pipes.

Si l’étymologie donnée pour le mot curateur par l’auteur de l’article du Figaro Madame est fantaisiste, l’acception donnée pour ce mot est-elle justifiée ?

Observons tout d’abord que le mot curateur existe depuis fort longtemps en français étant attesté dès 1287 (Trésor de la langue française « Tlf »).Il nous vient du latin impérial curator =celui qui a la charge, l’office de (Dictionnaire de l’Académie française 9ème édition « Acad.9 »).

En français moderne, le nom  curateur n’est utilisé qu’en droit pour désigner une personne nommée par le juge des tutelles, soit pour assister un majeur incapable ou un mineur émancipé,  administrer ses biens et veiller à ses intérêts, soit pour régir une succession vacante ou un bien abandonné…[ou en Droit commercial une ] personne nommée par le tribunal de commerce pour préparer le plan de redressement d’une entreprise en difficulté et en assurer provisoirement l’administration (Acad.9) .C’est ainsi que l’on avait le curateur au ventre , nommé par le conseil de famille , pour veiller aux intérêts de l’enfant à naître lorsqu’une femme était enceinte lors du décès de son mari et que l’on a encore  le curateur à la personne d’un aliéné ou même le curateur à la mémoire nommé par la Cour de cassation pour poursuivre la réhabilitation d’un condamné.

Non seulement le mot curateur ne nous vient pas de l’anglais mais c’est l’anglais qui a emprunté à l’ancien français curateur devenu curatour en anglo-normand et curator en anglais moderne. L’anglais est resté plus proche du sens latin ne limitant pas l’usage du mot à la définition juridique du français moderne. En effet, le sens de gestionnaire, intendant  apparait en Angleterre au début du XVIIème siècle et le sens de personne dirigeant un musée ou une bibliothèque est attesté dans le Journal de John Evelyn (1661).En français moderne, la personne qui dirige un musée  ou une partie d’un musée est bien entendu un conservateur. Le Tlf note que  l’emploi du mot curateur  pour signifier conservateur (de musée) est un régionalisme canadien !

Ainsi doit-on conclure que le sens donné pour le mot curateur relève de l’anglicisme condamnable .Comme il y a belle lurette que les conservateurs organisent « des expositions autour d’un propos » et font ce que l’auteur attribue aux « curators » anglosaxons  point donc n’est besoin de justifier l’emploi de ce calque par une étymologie de haute fantaisie.

 

Sus aux solécismes, haro sur les barbarismes

L’Académie française, dans la huitième édition de son Dictionnaire, soulignait que « Le barbarisme et le solécisme sont les deux principaux vices d’élocution ”. Quelque grande puisse être l’influence du milieu anglophone dans lequel nous vivons, les expatriés se doivent de corriger ces vices.

Pour mémoire, selon le même Dictionnaire ,le solécisme est « une faute contre la syntaxe au regard de la grammaire » alors que le barbarisme est « une faute contre le langage soit dans la forme ,soit dans le sens du mot (mot créé ou altéré ,dévié de son sens ,impropre….Faute caractéristique d’un étranger (gr. barbaros) particulièrement celle qui consiste dans l’emploi d’une forme inexistante, par opposition avec le solécisme, qui est l’emploi fautif dans un cas donné d’une forme par ailleurs correcte. Nominer pour nommer, citer est un barbarisme. »

Lors d’une récente réunion d’expatriés, l’animateur avait demandé à plusieurs expatriés de faire une courte présentation sur l’activité du domaine dudit membre. Les solécismes et les barbarismes émaillant  les discours étaient  affligeants pour qui respecte la langue française.

La perle des solécismes revient à un intervenant  qui a commencé son intervention par la phrase : « J’écoutais ce que vous parliez ». Non, je n’invente pas !

Les barbarismes sont beaucoup plus fréquents que les solécismes dans la bouche des cadres expatriés.

Nombre d’entre eux sont l’expression d’un laxisme lexical, d’une paresse intellectuelle, de snobisme  et d’un manque inadmissible de respect de la langue française. Comment autrement qualifier le discours tenu par un des expatriés : « Anyway, il faut continuer… », ou ordonnant à un des intervenants  de «  faire ton overview rapidement » et, plus tard, ajoute qu’il faudra convaincre « d’autres villes on the road » de participer.

Les intervenants qui parlèrent d’une certaine industrie ont fait assaut de barbarismes en observant que dans cette industrie, le « retail » était « drivé » par ceci ou cela. Le « commerce de détail » et son pendant le « commerce de gros » ont-ils disparus ? Au lieu de « drivé » pourquoi ne pas dire « mus par les moteurs.. ». Le barbarisme « retailization » m’a laissé pantois .Il est nécessaire de dire « tendance » au lieu de « trend ».

De même, « data center » ou « centre de data » doit céder la place à « centre de données » et n’est-il pas plus exact de dire « amélioration de la performance » au lieu de « augmentation de la performance »?

Plusieurs barbarismes méritent une mention particulière :

« Challenge »

Plusieurs intervenant ont employé le mot « challenge », l’un d’entre eux ayant même poussé le vice jusqu’à dire « être challengé ». Le mot « challenge » existe bien en français mais pas dans le sens de la phrase. En français moderne un « challenge » selon le Trésor de la langue française est une «  Épreuve périodique entre deux sportifs ou deux équipes pour la conquête d’un titre ou d’un trophée (coupe, statue, etc.) que le vainqueur garde en dépôt, puis cède au vainqueur d’une nouvelle épreuve. Lancer, gagner un challenge; faire disputer un challenge. ».Le sens sportif du mot nous vient de l’anglais : vers 1380 le mot anglais « challenge », emprunté au vieux français, avait pris le sens de « défi dans un combat ». En ancien français, le mot « chalongier » ou « chalengier » signifiait « chicane, attaque, défi » (XIIe s.).Le mot provenait  du latin classique calumnia terme juridique « accusation fausse, chicane » formé sur le participe du verbe « caluor » = »chicaner, tromper » puis « réclamation, accusation, litige » en latin médiéval.

L’Académie dans sa 9ème édition estime que ce mot doit être écrit « chalenge » car «  (On écrit aussi, moins bien, Challenge.) et que le sens de « provocation, défi » est  un emploi déconseillé.

Ainsi, pour être correct, il convient d’employer le mot « défi » pour traduire « challenge » sauf si le contexte sportif permet l’emploi du mot « challenge ».

« basique »

C’est un faux ami qui est encore une mauvaise traduction de l’anglais « basic ».L’Académie dans la neuvième édition de son Dictionnaire limite l’emploi de l’adjectif basique à la chimie (= qui a les propriétés d’une base) et à la minéralogie (=roche ou sol de composition alcaline).Il fallait dire choses relativement élémentaires.

« profitabilité »

Si les mots « profit » et « profitable » sont acceptés dans la 9ème édition du  Dictionnaire de l’Académie, le mot « profitabilité » n’y figure pas. Il en est ainsi dans le Trésor de la langue française (Tl). Il faut dire plutôt « rentabilité » (=Aptitude à engendrer des profits, des bénéfices » Tlf.).Notons que « profit » n’a pas qu’un sens matériel .Selon la 9ème édition le « profit » : est un  « Avantage d’ordre pratique, moral ou intellectuel que l’on retire d’une chose, bénéfice…ÉCON. Revenu résiduel, correspondant aux recettes d’une entreprise desquelles on a soustrait les coûts de production et de distribution des biens et des services produits. Profit d’exploitation. Compte de profits et pertes, Passer par pertes et profits. »

« Flop »

Un des intervenants estima que la stratégie de diversification d’une certaine industrie avait été un « flop ». Ce mot ne figure ni à la 9ème édition du Dictionnaire de l’Académie ni dans la base informatique du Tlf. Si certains dictionnaires, Larousse ou Robert, le mentionnent, ils s’accordent à considérer que cet anglicisme est d’un emploi familier utilisé principalement pour indiquer l’échec d’un roman ou d’une pièce de théâtre.

Dans Les Mémoires d’Outre-tombe (t.2, 1848, p.702) Chateaubriand observait qu’  « Une langue (…) ne saurait changer sa syntaxe qu’en changeant son génie. Un barbarisme heureux reste dans une langue sans la défigurer; des solécismes ne s’y établissent jamais sans la détruire. » Très rares, sinon inexistants, sont les barbarismes faits par les expatriés que l’on pourrait objectivement considérer comme des barbarismes heureux car, pour l’essentiel d’entre eux ils ne sont que l’expression du laxisme lexical précité.

Trentenaire

Suite à mon billet sur les quarantenaires mon ami Jean-Martin m’écrit: “c’est bien aussi de trentenaire (et pas de trentagénaire!) que je qualifierais une personne ayant de 30 à 40 ans… ». Cette pertinente observation mérite examen car, bien entendu le mot « trentagénaire » n’existe pas plus que les mots « vingtagénaire » ou « vingtenaire » !

Le mot « trentenaire » en Moyen Français (1330-1500) signifiait « un ensemble de trente jours ». Son acception usuelle « durée de 30 ans » est  récente .On la trouve pour la première fois dans la 7ème édition du Dictionnaire de l’Académie française (1878) avec le même sens que dans le Littré (1872, suppl.1877). C’est encore ce sens que donne la 8ème édition de 1935.

Cependant, les dictionnaires plus récents manifestent une confusion certaine. Tous reprennent le sens précité mais si le Dictionnaire culturel en langue française publié en 2005 sous la direction d’Alain Rey en reste là, le Dictionnaire historique de la langue française (1992) aussi publié sous la direction d’Alain Rey ajoute, comme le fait le Petit Larousse (2004), le sens de « qui a entre trente et quarante ans ». Le classique Robert ajoute également le sens de «  Dont l’âge est compris entre trente et trente-neuf ans » mettant en évidence l’erreur commise par le Petit Larousse et par le Dictionnaire historique ( entre 30 et 40 ans au lieu de entre 30 et 39 ans!).

Le Trésor de la langue française indique que le sens de « personne âgée de trente ans » est rare donnant un article du Nouvel Observateur de 1981 comme emploi. Ce sens est-il le même que  celui «  Dont l’âge est compris entre trente et trente-neuf ans » ? On peut en douter. Dans le dernier cas il s’agit d’une personne ayant  la trentaine alors que dans le premier la personne a 30 ans ni plus ni moins.

La diffusion des dictionnaires soit par internet soit par applications pour tablettes ne fait qu’augmenter la confusion. Ainsi, sur la page Conjugaison du Nouvel Observateur le sens « qui dure trente ans » est qualifié de « rare » et l’emploi comme nom fait l’objet du commentaire : « par plaisanterie la personne qui a trente ans ». La version électronique du Robert rejoint Conjugaison, traitant de « rare » le sens de « durée de trente ans », mais reprend le sens de de «  Dont l’âge est compris entre trente et trente-neuf ans » alors que le Larousse électronique limite le sens à la durée, tout comme le faisait l’édition 1905 éditée par M. Claude Augé l’auteur du Dictionnaire ( Larousse) complet illustré de 1889 .Cette version électronique omet ainsi sens d’âge de la personne que la version papier de 2004 du dictionnaire mentionne. Dans Wiktionnaire les deux  sens figurent alors que dans Wikipedia l’article « trentenaire » reste à créer !

Faut-il donc accepter le sens de « qui a entre trente et trente-neuf ans » ? L’Académie française n’étant pas encore arrivée à la lettre T dans sa 9ème édition, il nous faut l’attendre pour être définitivement fixé. Entretemps, vu l’absence d’autre mot pour ce sens, je crois cet emploi du mot « trentenaire » justifié.

Quarantenaire ou quadragénaire ?

Dans l’édition du 22 janvier 2013 (Sports p.3) Marc Antoine Godin journaliste sportif au quotidien canadien La Presse signe un article intitulé “La fougue des quarantenaires » dans lequel il admire les prouesses de joueurs de hockey frisant la quarantaine comme Alex Kovalev ou comme Jaromir Tagr et Ray Whitney qui eux ont une quarantaine bien sonnée. Le mot « quarantenaire » pour désigner une personne ayant entre 40 et 49 ans est-il bien utilisé par M. Godin ?

Le suffixe « –aire » ajouté à un adjectif numéral dénote en règle générale la durée. Ainsi « trentenaire » signifie une durée de 30 ans ou qui existe depuis 30 ans. : le droit connait la prescription trentenaire. On utilise cette forme  aussi pour signifier un anniversaire : le cinquantenaire de la découverte de la pénicilline. Si les dictionnaires (Larousse, Robert, Trésor de la langue française (Tlf) et Dictionnaire de l’Académie française) nous donnent  des noms formés par l’adjonction du suffixe « -aire »  sur les chiffres 30,40, 50, 100, 150 ,200,300 400 et mille on peut s’étonner que le mot « soixantenaire » ne figure dans aucun d’entre eux  et que pour 70,80 et 90 il faille se tourner vers l’usage suisse et belge ou l’on retrouve « septantenaire » « huitantenaire » ou , plus rarement, « octantenaire » et « nonantenaire ».Notons que certains dictionnaires en ligne sans donner de sources ajoutent le mot « soixantenaire ».

Le mot « quarantenaire » utilisé par M. Godin est intéressant. A la différence des autres mots formés sur les adjectifs numéraux, ce mot a plusieurs sens bien différenciés. Le sens le plus ancien  attesté dès 1634 appartient au vocabulaire de la marine : le mot signifie « cordage qui sert à redoubler les autres »  (Trésor de la langue française, Dictionnaire culturel de la langue française d’Alain Rey). A la même époque, selon la 9eme édition du Dictionnaire de l’Académie française, le mot prend aussi le sens  de « qui dure  40 ans ». Au milieu du XIXème siècle, le mot « quarantenaire »  est utilisé dans le sens de  «  relatif à la quarantaine sanitaire, personne qui est soumise à une quarantaine, lieu assigné pour une quarantaine » (Dictionnaire Culturel précité, Robert et Larousse.).

Si Péguy écrivait « Le quarantenaire ne devient pas cinquantenaire, il devient historien » ( Clio ,1914, p.249) tant le Tlf que le Dictionnaire de l’Académie estiment qu’il ne faut pas employer le mot « quarantenaire » pour désigner une personne ayant la quarantaine mais qu’il faut lui préférer le classique « quadragénaire”. Ceci explique sans doute pourquoi la version en ligne de l’article de M. Godin a été corrigée, substituant « quadragénaire » à « quarantenaire » qui figurait dans la version papier vendue au public : http://www.lapresse.ca/sports/hockey/201301/21/01-4613520-la-fougue-des-quadragenaires.php !

L’ homme et la mouche

Que l’homme prenne la mouche ne surprend personne. Que l’homme et la mouche partagent des comportements peut étonner. C’est pourtant le cas si l’on se fie aux travaux du professeur Zars[1] de l’Université du Missouri, spécialiste en neurobiologie. Le professeur Zars a étudié le comportement des mouches à fruit males, Drosophila melanogaster, et a découvert que les males privés de sexe noient leur dépit dans l’alcool : parallèle évident avec le comportement des hommes !


[1] G. Shohat-Ophir, K. R. Kaun, R. Azanchi, U. Heberlein. Sexual Deprivation Increases Ethanol Intake in Drosophila. Science, 2012; 335 (6074): 1351 DOI: 10.1126/science.1215932

La santé :service public ?

L’ article de M. Ezra Klein « Why an MRI costs $1,080 in America and $280 in France ? » ( Washington Post 3 mars 2012 cliquez ici pour le lire) soulève des questions aussi fondamentales qu’intéressantes. Notant qu’en 2009, les dépenses de santé aux Etats-Unis se montaient à $ 7,960 par personne alors qu’en France elles n’étaient que de $ 3,978 par personne, au  Canada $4,808 et en Allemagne $4,218, il observe que si les dépense de santé américaines étaient au niveau des trois pays cités le déficit américain serait résorbé. Il attribue la différence aux prix pratiqués par les fournisseurs des services de santé qui cherchent à maximiser leur bénéfices.

Si l’analyse de M. Klein-et celles des économistes qu’il cite- est bonne, alors pourquoi ne devrait-on pas considérer que  la fourniture de services de santé est un service public qui devrait  rémunéré sur la base des coûts plu un profit garanti ? Vos commentaires seront les bienvenus.

Charter Schools: solution gratuite pour l’éducation bilingue de nos enfants?

Nos compatriotes expatriés aux États-Unis voulant que leurs enfants apprennent la langue de leurs ancêtres n’avaient jusqu’à récemment que la solution de les inscrire dans les quelques écoles privées bilingues de la région newyorkaise ou de quelques autres grandes villes américaines. Solution fort coûteuse –frais de scolarité dépassant les $20.000 par an par enfant- donc au-delà des moyens de la grande majorité des expatriés. Résultat : perte de la langue et de la culture française pour les enfants d’expatriés ne venant pas des familles les plus aisées.

Depuis 1991,  de nombreux États américains, 80%, dont New York, Californie.., ont encouragé la création d’écoles publiques gratuites gérées par le secteur privé. Ces écoles sont légalement et financièrement indépendantes des systèmes scolaires publics des États. Pour créer une telle école, il faut obtenir une  charte des autorités étatiques compétentes, telles le Department of Education (DOE) et le Board of Regents à New York. L’obtention de cette charte est un long processus, un à deux ans, nécessitant la constitution d’un volumineux dossier reprenant les qualifications du directeur, du conseil d’administration, du corps enseignant, détaillant le programme académique etc. Comme une école ne peut fonctionner qu’en vertu des termes de la charte qu’elle aura pu obtenir, le corollaire est que le contenu académique de l’enseignement est validé et approuvé par autorités de tutelles et ne peut être modifié qu’avec leur accord.

Le financement de ces écoles provient de deux sources : la subvention par élève versée par l’État, correspondant à son coût évité et les dons du secteur privé. A  New York, par exemple, la subvention est environ $13 500 par élève par an. Cette subvention, comme il ressort de mon expérience de membre fondateur de la New York French American Charter School (NYFACS), est à peine suffisante pour ouvrir une école car le coût du loyer est très important dans le budget de fonctionnement de l’école.

L’exemple de la NYFACS est intéressant pour la réflexion. Elle a ouvert ses portes en septembre 2010 avec les classes de jardin d’enfants, 1ère et 2ème année. Chaque année une nouvelle classe sera ajoutée jusqu’à la 12ème année .Le but est de préparer les élèves au baccalauréat international ainsi qu’au  Regents High School Diploma, qui marque la fin des études secondaires à New York. Normalement, à New York, un élève fréquentant les écoles publiques ne peut être inscrit que dans une école sise dans sa circonscription scolaire ce qui, historiquement, poussait les parents à choisir d’habiter dans certains quartiers dans lesquels les écoles publiques étaient considérées comme meilleures. Tant qu’une « charter school » comme la NYFACS n’a pas rempli toutes ses classes, bien que située à Harlem, elle peut accueillir des élèves venant de n’importe où dans l’État de New York.

Le gouvernement français qui cherche des moyens d’assurer la gratuité de la scolarisation des Français expatriés ne devrait-il pas favoriser la création de telles écoles au travers des États-Unis plutôt que de payer des frais de scolarités de plus de $ 20 000 par an par élève aux écoles privées bilingues ? A titre d’exemple, et les modalités de l’aide sont à définir, une subvention égale à la prise en charge par le gouvernement des frais de scolarité de 10 élèves de seconde ou de terminale dans un établissement privé comme le Lycée français de New York assurerait à une école comme la NYFACS plus de la moitié de son loyer annuel ainsi permettant aujourd’hui à 150 élèves et demain à 500 d’avoir un enseignement bilingue gratuit dans un établissement ayant alors une assise financière solide. Ne serait-ce pas là un meilleur emploi des deniers publics pour réaliser l’objectif ô combien important de la gratuité de la scolarisation des Français ?

©2011 Pierre F.de Ravel d’Esclapon

Paltoquet

Du fonds de la Chine où il effectuait un voyage professionnel, mon ami Bertrand m’écrivit pour en savoir plus sur le mot paltoquet. Espérant que le mot n’avait pas été utilisé à son encontre, voici le résultat de mes recherches.

Paltoquet désigne un individu grossier, rustre, un homme prétentieux et insolent (Larousse).Le mot vient de paletot, vêtement grossier, donc indice de rusticité, porté par les paysans d’antan. La forme ancienne du mot paletot est attestée dès 1370 sous la forme paletoke (Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500), ATILF entrée »paletot »). Le mot signifiait un justaucorps. Par adjonction d’un-é final pour désigner quelqu’un habillé d’un paletoke le mot est devenu paletoké ou paletoqué (cf. Rabelais Tiers Livre XXVI) ensuite orthographié paltoquet. Ainsi, un paltoquet est un homme qui a les manières grossières du paysan.

Selon les spécialistes français (Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Complément de Godefroy, Trésor de la langue française), le mot paletot est un emprunt au moyen anglais paltok =jaquette, mot selon eux, d’origine incertaine. Au XIXème siècle, l’anglais a réemprunté le mot paletot pour désigner un vêtement de dessus droit  unisexe.

En revanche, selon les spécialistes anglo-saxons comme Joseph T. Shipley (The Origins of English words : A Discursive Dictionary of Indo-European Roots (1984)), les mots paletot et paltok proviennent de la racine indo-européenne pel-3b, pelǝ-, plē- signifiant une peau, avec l’idée de couvrir, couverture. Cette racine, selon J. Pokorny (Indogermanisches Wörterbuch) se retrouve en grec dans le mot πέλας `=peau et sa forme πέλλᾱς=fourrure est ensuite empruntée par le latin dans le mot pellis=peau de fourrure qui a donné pallium et palla mot signifiant une grande mantille de femme ou encore une jaquette gauloise (à noter que le mot gaulois plaid qui est dérivé de cette racine signifiait couverture en peau de mouton).

En français, la racine nous a donné, outre paletot, les mots pelisse et pellicule et en anglais les mots peel, pelt, pellagra, palliate et tarpaulin.

Le temps et l’espace dans la culture japonaise

Si ces concepts vous intriguent, lisez la critique du livre de  Katô Shûichi    « Le temps et l’espace dans la culture japonaise » par Agnès Cousin de Ravel en cliquant sur son nom.

Le bon usage: “vicinité” ou “proximité”?

Dans un récent courriel, Antoine informait ses correspondants qu’il recherchait un restaurant « dans la vicinité des pistes de ski ».Si le mot vicinité évoque le mot anglais vicinity, est-il français ? Malheureusement il ne l’est plus mais ce mot, devenu un barbarisme, va nous permettre de découvrir les liens entre les mots vicinal, paroisse, ville, économie, œcuménique, vilain, et écologie !

En ancien français, c’est-à-dire, dans le français en usage entre la Chanson de Roland (1080) et 1340, le mot vicinité existait bel et bien, signifiant, depuis son apparition au XIIème siècle, « voisinage, proximité ».Le mot vient du latin uicinus qui signifiait « venant du même quartier ou du même village » .

L’emploi du mot vicinité est devenu de plus en plus rare en moyen français (1340-1611) pour disparaître complètement en français moderne. Il n’est pas dans la 1ère édition de 1694 du Dictionnaire de l’Académie française et le mot vicinal, qui désigne les chemins reliant les villages, n’apparaît la première fois que dans l’édition de 1835 ! C’est d’ailleurs le seul sens admis pour ce mot ! Auparavant, au XVIème siècle par exemple, c’était le mot voisinal qui était utilisé dans le même sens.

En anglais, le mot, emprunté à l’ancien français, fait son apparition vers 1560 pour signifier quartier, voisinage, sens qu’il a conservé encore aujourd’hui.

Le mot latin uicinus[i], dérivé de uicus =pâté de maisons qui venait lui-même du grec. οκος =maison .La racine proto-indo-européenne, u̯eik̂-, u̯ik̂-, u̯oik̂o- (*du̯ei- kṣayati) ,signifie maison, habitation elle-même dérivée de k̂Þei- racine reprenant l’idée de sédentarisation et même d’accession à la propriété ( racine kÞē(i)-, kÞǝ(i)-).C’est ce qui explique que dans les très vieilles langues dérivées du proto-indo-européen, comme le sanscrit ou le vieil hindou on retrouve des mots formés sur la racine vis dont certains signifient maisons ou habitation (víś-), d’autres citoyens (víśaḥ) ou encore propriétaire de maison (viś-páti-)[ii].

Du grec οκος est venu le mot p£roikoj = celui qui habite près de d’où paroisse et le mot anglais parochial =qui a trait à une paroisse, ainsi que les mots économie, œcuménique et écologie !

Du latin uicus est dérivé le mot latin villa qui signifiait d’abord maison de campagne puis village et ville sans oublier vilain !


[i] Rappelons à nos jeunes lecteurs qu’en latin la lettre “v” était prononcée “w” :c’est pourquoi les dictionnaires étymologiques du latin, et des langues qui le précédèrent, souvent substituent un « u » à la place du « v ».

[ii] A Proto-Indo-European Language Lexicon, and an Etymological Dictionary of Early Indo-European Languages,http://dnghu.org/indoeuropean.html ,une banque de données établie à partir de J. Pokorny “Indogermanisches Etymologisches Wörterbuch”, corrigé par George Starostin (Moscow), A. Lubotsky sub nomine u̯eik̂-, u̯ik̂-, u̯oik̂o- (*du̯ei- kṣayati)

Image et prédation chez Quignard

Si une petite « quignardise » vous tente,cédez à la tentation et lisez l’excellent article d’Agnès Cousin de Ravel ici

Trente œuvres « disparues ou volées » saisies à l’Institut Wildenstein

Pour en savoir plus sur la saga des tableaux disparus, lisez l’article du journal Le Monde en cliquant ici , l’article dans The Telegraph, »Affaire Wildenstein:une nouvelle veuve porte plainte » dans le Paris-Match du 16 .02.2011, « Affaire Widenstein:scandale en toile de fond » par Daniele Georget ,13.02.2011, et l’article de David Le Bailly – Paris Match « L’étau judiciaire se resserre autour de Guy Wildenstein ».

Il n’y a qu’à New York!

Mercredi 16 février :avec mon ami Nicholas D. nous traversions Central Park à pied,,discutant à voix haute ,en français, le rôle de la France dans le monde quand une dame ,bibliothécaire de son état,nous interrompt, nous priant en excellent français de l’excuser,pour nous demander si l’usage aujourd’hui dictait que l’on mît un accent aigu, ou grave, sur un E majuscule quand le mot en minuscule l’exige!

Il n’y a qu’à New York où cela peut arriver!

Where else but in New York?

Wednesday,walking through Central Park with my friend Nicholas D. chatting merrily,if somewhat loudly,in French about the role of France in the concert of Nations  a lady ,looking remakably like the New York Public Library librarian in Ghostbusters, and,like her ,a librarian ,stops us ,apologizing profusely for the interruption ,to ask us in very good French,if in current usage a word such as « église » when capitalized should be written »Eglise » or « Église »!

Only in New York!

Valentine’s Day and the takeover of pagan festivals by the Church

The celebration of Valentine’s Day on February 14 provides us with an opportunity to think about the symbolism of the pagan festivals that were taken over by the Church.

Today, Valentine’s Day is the symbol of lovers, thus, indirectly, the symbol of fertility. According to tradition, Roman Emperor Claudius the Cruel had banned marriages amongst young people on the grounds that married young men were reluctant to enlist in the Roman army. Valentine, a Catholic priest, disobeyed the ban and continued to perform marriages amongst young people. Caught, and condemned by the prefect, he was sentenced to be beaten and beheaded. According to tradition, the sentence was carried out on February 14 of either year 270 or 278. In fact, the very serious Catholic Encyclopedia tells us that there were at least three St. Valentines all martyred on February 14 but in three different places!

 

In ancient Rome February 14 was right in the middle of the festival of the Lupercalia (February 13 – 15). This festival, marking the end of the Roman year, was a celebration of purification, health and fertility. It was celebrated in a cave, most likely situated at the foot of Palatine Hill, called the Lupercal in honor of Lupercus, god of shepherds. The ritual involved the sacrifice of a he-goat by priests clad in goatskins who then anointed two young men, of patrician families, by daubing them with the blood of the sacrificed goat whose skin was then cut up in strips. Upon washing away the sacrificial blood, the youths were to burst out laughing, dress in goatskins and then run, more or less naked, through the streets of Rome using the strips of goatskin to flagellate any woman desiring to bear child within the year!

 

The festival harked back to an even older ritual, one of spring cleaning called Februa, hence the name of the month of February. Thus, beyond purification, the ritual is also a rite of passage: the sacrifice in the cave is of course a symbol of death (remember the initiation rites in the Magic Flute) and the laughter outburst a symbol of resurrection while the he-goat symbolizes fertility.

 

In spite of the ban on pagan festivals in a Rome that had become largely Christian, the festival of Lupercalia continued to coexist with Christianity during several centuries. However, in the fifth century, Pope Gelasius the first (494 – 496) thought that, since the Lupercalia was at that time only observed by the rabble, the original purpose no longer warranted its continued existence. So, he decided to ban the Lupercalia, ordering its replacement by the feast of St. Valentine.

 

The setting of Christmas on December 25th is another example of appropriation of a pagan festival by the Church. The date was chosen to supplant the most important feast of the mithraic cult, that of sol invictus or Natalis invicti. The mithraic cult, widespread in Rome and in Asia Minor in the third and fourth centuries, celebrated by that festival the return of the sun triumphing over the winter night. In the Christian world, the setting of Christmas on December 25 occurred sometime during the fourth century. Pope Benedict XVI considers that it was natural to set Christmas on December 25 since it occurs nine months after the Annunciation! Given the number of Church Fathers who have thought that the relation between sol invictus and Christmas is established, we may wonder whether the date of March 25 for the Annunciation is itself either an arbitrary date or an exercise in bootstrapping: after having set Christmas at December 25 why not set the date of the Annunciation at March 25, nine months before!

 

Valentine’s Day and Christmas on not the only two Christian feasts that have supplanted pagan festivals. While there are numerous other examples, let us examine only two additional ones: Rogation Days and the feast of San John the Baptist.

The Rogation Days where instituted by the Church to appease God’s anger at man’s transgressions and to obtain bountiful harvests. In England, these days where known as “Gang Days » and “Cross Week », and in Germany as it Bittage, Bittwoche, Kreuzwoche. There were two Rogation Days: the Major Rogation Day on April 25 and the Minor Rogation Days which occurred during the three days preceding the feast of the Ascension. According to the Catholic Encyclopedia, the Rogation Days « have been introduced to counteract the ancient Robigalia, on which the heathens held processions and supplications to their gods » for bountiful harvests and, in the case of Minor Rogation Days, for the avoidance of late frosts. In Rome, the Robigalia were held on the same days as the Major and Minor Rogations and the Major Rogation Day procession used the same itinerary in the city of Rome as did the supplanted pagan festival!

 

As a last example of appropriation, let us examine the one pagan festival that resisted for a very long time its supplantation by a Christian feast: the Scandinavian feast of the summer solstice on June 21. Today, the feast of St. John the Baptist on the same day has replaced it.

 

It is interesting, as well as enriching, to think back on the symbolism of the pagan festivals that have been supplanted by Christian feasts.

 

La Saint-Valentin et l’appropriation des fêtes païennes par l’Église

La fête de la Saint-Valentin est pour nous l’occasion de réfléchir aux fêtes païennes que l’Église par la suite a transformées en fêtes chrétiennes. Traditionnellement, la Saint-Valentin, aujourd’hui symbole des amoureux et donc indirectement de la fertilité, commémore les actions du prêtre Valentin à Rome lorsque l’empereur Claudius II Le Cruel avait interdit les mariages au motif que les jeunes gens mariés ne s’enrôlaient plus dans l’armée romaine. Valentin avait désobéi au décret et avait continué à célébrer le mariage de jeunes gens. Arrêté, puis condamné par le préfet, il fut d’abord roué de coups et puis décapité. Cette sentence fut exécutée le 14 février de l’an 270 ou 278. En fait, selon la très sérieuse Catholic Encyclopedia, l’origine et l’identité de Saint-Valentin relèvent du mystère puisque selon les Vies des martyrs antiques, il y aurait eu au moins trois Saint-Valentin tous martyrisés le 14 février mais dans des lieux différents !

Dans la Rome antique, le 14 février se situait au milieu de la fête des Lupercales (13-15 février). Cette fête de la fin de l’année romaine était une fête de purification, de santé et de fertilité. Elle se célébrait près d’une grotte appelée le Lupercal, probablement située au pied du Mont Palatin, en l’honneur du dieu des troupeaux Faunus Lupercus. Le rituel de la fête prévoyait le sacrifice d’un bouc dans la grotte où selon la légende la louve avait allaité Romulus et Remus. Après le sacrifice, les deux jeunes patriciens qui assistaient uniquement vêtus d’une peau de bouc, se faisaient toucher le front par le prêtre sacrificateur avec le couteau sacrificateur puis celui-ci enlevait le sang et alors les jeunes gens avaient l’obligation de rire aux éclats. Ensuite, armés de lanières de peau de bouc, les jeunes gens se mettaient à courir nus dans Rome, fouettant les femmes qui souhaitaient avoir un enfant dans l’année.

La fête reprenait un rituel plus ancien encore de nettoyage de printemps appelé Februa d’où le nom du mois de février. Ainsi, outre la purification, le rituel est aussi un rituel de passage : le sacrifice dans la grotte est bien entendu symbolique de la mort, le rire aux éclats, qui survient après la purification, symbolise la résurrection et le bouc la fertilité.

Malgré l’interdiction des fêtes païennes dans une Rome devenue largement chrétienne, la fête des Lupercales continua à coexister avec le christianisme pendant de nombreux siècles mais au cinquième siècle, le pape Gélase Ier (494-496) estimant que la fête des Lupercales n’était plus observée que par le bas peuple a décidé d’interdire celle-ci et de la remplacer formellement par la fête de la Saint-Valentin.

La fixation de la fête de Noel au 25 décembre est un autre exemple d’appropriation : la date a été fixée pour supplanter la fête du culte mithriaque du sol invictus ou du Natalis Invicti. Le culte mithriaque, très répandu à Rome et en Asie Mineure au troisième et quatrième siècles, célébrait par cette fête le retour du soleil qui triomphait de la nuit de l’hiver. Dans le monde chrétien, la fixation de Noël au 25 décembre ne s’est effectuée au cours du quatrième siècle. Le Pape Benoît XVI considère que la fixation au 25 décembre est naturelle : c’est 9 mois après l’Annonciation !Au vu des nombreux auteurs, Pères de l’Église, qui ont estimé la relation entre le sol invictus et Noel comme établie, on peut aussi se demander, si la date du 25 mars pour l’Annonciation n’est pas aussi une date de convenance plutôt qu’une date historiquement prouvée.

Comme le fait remarquer l’historienne Anne Morelli, la fête de la Saint-Valentin est loin d’être la seule fête païenne à avoir été reprise par l’église catholique. Dans son intéressant article « La réinterprétation chrétienne des fêtes antérieures au christianisme » (cliquez ici pour lire l’article), elle souligne que les rogations et les litanies sont à l’origine des fêtes romaines connues sous le nom d’ambarvalla. Les rogations sont des prières publiques pour attirer la bénédiction divine sur les récoltes. La grande rogation est célébrée le 25 avril, fête de la Saint Marc. À cette date, à Rome, il y avait une grande procession qui sortait de Rome et lorsque le la fête païenne fut supplantée par la grande rogation celle-ci a continué d’emprunter le même itinéraire ! Les petites rogations, ou litanies, avaient lieu les trois jours précédents l’Ascension et correspondent à l’époque des gelées tardives que redoutent tant les agriculteurs.

Anne Morelli ne se contente pas de répertorier les fêtes romaines ou mithriaques qui ont été appropriées par le christianisme mais souligne à en outre l’importance des fêtes païennes venant de la Scandinavie et, bien entendu, de l’héritage judaïque. C’est ainsi qu’elle rappelle que la fête du solstice d’été le 21 juin a très longtemps résisté avant d’être reprise par le christianisme devenu la fête des feux de la Saint-Jean.

Ainsi, réfléchir au symbolisme des fêtes païennes qui ont pu être supplantées par les fêtes chrétiennes est un exercice intéressant et enrichissant.

 

La fête de la Saint-Valentin est pour nous l’occasion de réfléchir aux fêtes païennes que l’Église par la suite a transformées en fêtes chrétiennes. Traditionnellement, la Saint-Valentin, aujourd’hui symbole des amoureux et donc indirectement de la fertilité, commémore les actions du prêtre Valentin à Rome lorsque l’empereur Claudius II Le Cruel avait interdit les mariages au motif que les jeunes gens mariés ne s’enrôlaient plus dans l’armée romaine. Valentin avait désobéi au décret et avait continué à célébrer le mariage de jeunes gens. Arrêté, puis condamné par le préfet, il fut d’abord roué de coups et puis décapité. Cette sentence fut exécutée le 14 février de l’an 270 ou 278. En fait, selon la très sérieuse Catholic Encyclopedia, l’origine et l’identité de Saint-Valentin relève du mystère puisque selon les Vies des martyrs antiques, il y aurait eu au moins trois Saint-Valentin tous martyrisés le 14 février mais dans des lieux différents !

Dans la Rome antique, le 14 février se situait au milieu de la fête des Lupercales (13-15 février). Cette fête de la fin de l’année romaine était une fête de purification, de santé et de fertilité. Elle se célébrait près d’une grotte appelée le Lupercal, probablement située au pied du Mont Palatin, en l’honneur du dieu des troupeaux Faunus Lupercus. Le rituel de la fête prévoyait le sacrifice d’un bouc dans la grotte où selon la légende la louve avait allaité Romulus et Remus. Après le sacrifice, les deux jeunes patriciens qui assistait uniquement vêtus d’une peau de bouc, se faisait toucher le front par le prêtre sacrificateur avec le couteau sacrificateur puis celui-ci enlevait le sang et alors les jeunes gens avait l’obligation de rire aux éclats. Ensuite, armés de lanières de peau de bouc, les jeunes gens se mettaient à courir nus dans Rome, fouettant les femmes qui souhaitaient avoir un enfant dans l’année.

La fête reprenait un rituel plus ancien encore de nettoyage de printemps appelé Februa d’où le nom du mois de février. Ainsi, outre la purification, le rituel est aussi un rituel de passage : le sacrifice dans la grotte est bien entendu symbolique de la mort, le rire aux éclats, qui survient après la purification, symbolise la résurrection et le bouc la fertilité.

Malgré l’interdiction des fêtes païennes dans une Rome devenue largement chrétienne, la fête des Lupercales continua à coexister avec le christianisme pendant de nombreux siècles mais au cinquième siècle, le pape Gélase Ier (494-496) estimant que la fête des Lupercales n’était plus observée que par le bas peuple a décidé d’interdire celle-ci et de la remplacer formellement par la fête de la Saint-Valentin.

La fixation de la fête de Noel au 25 décembre est un autre exemple d’appropriation : la date a été fixée pour supplanter la fête du culte mithriaque du sol invictus ou du Natalis Invicti. Le culte mithriaque, très répandu à Rome et en Asie Mineure au troisième et quatrième siècle, célébrait par cette fête le retour du soleil qui triomphait de la nuit de l’hiver. Dans le monde chrétien, la fixation de Noël au 25 décembre ne s’est effectuée au cours du quatrième siècle. Le Pape Benoît XVI considère que la fixation au 25 décembre est naturelle : c’est 9 mois après l’Annonciation !Au vu des nombreux auteurs, Pères de l’Église, qui ont estimé la relation entre le sol invictus et Noel comme établie, on peut aussi se demander, si la date du 25 mars pour l’Annonciation n’est pas aussi une date de convenance plutôt qu’une date historiquement prouvée.

Comme le fait remarquer l’historienne Anne Morelli, la fête de la Saint-Valentin est loin d’être la seule fête païenne à avoir été reprise par l’église catholique. Dans son intéressant article « La réinterprétation chrétienne des fêtes antérieures au christianisme » (cliquez ici pour lire l’article), elle souligne que les rogations et les litanies sont à l’origine des fêtes romaines connues sous le nom d’ambarvalla. Les rogations sont des prières publiques pour attirer la bénédiction divine sur les récoltes. La grande rogation est célébrée le 25 avril, fête de la Saint Marc. À cette date, à Rome, il y avait une grande procession qui sortait de Rome et lorsque le la fête païenne fut supplantée par la grande rogation celle-ci a continué d’emprunter le même itinéraire ! Les petite rogations, ou litanies, avait lieu les trois jours précédents l’Ascension et correspondent à l’époque des gelées tardives que redoutent tant les agriculteurs.

Anne Morelli ne se contente pas de répertorier les fêtes romaines ou mithriaques qui ont été appropriées par le christianisme mais souligne à en outre l’importance des fêtes païennes venant de la Scandinavie et, bien entendu, de l’héritage judaïque. C’est ainsi qu’elle rappelle que la fête du solstice d’été le 21 juin à très longtemps résisté avant d’être reprise par le christianisme devenu la fête des feux de la Saint-Jean.

Ainsi, réfléchir au symbolisme des fêtes païennes qui ont pu être supplantées par les fêtes chrétiennes est un exercice intéressant et enrichissant.

Étoupe, stop, perdrix à l’étouffée et étoffes

Quel lien peut exister entre ces mots en apparence aussi disparates? C’est en examinant la descendance d’une vieille racine proto-indo-européenne, datant de quelque 4 000 ou 5 000 ans, que nous pourrons, au gré des migrations  des peuplades dans le temps et dans l’espace et des emprunts d’une langue à l’autre, comprendre comment d’un ancêtre commun sont issus des cousins dont la parenté est maintenant difficile à déceler.

C’est en 1792  , alors que la France révolutionnaire se battait contre l’Europe et que Rouget de l’Isle composait La  Marseillaise, que les marins français empruntent à l’anglais le mot stop pour signifier arrêt[1].Pour les lecteurs suffisamment jeunes pour se souvenir des messages télégraphiques et des stops qui marquaient la fin de chaque phrase ( « arriverai train 18h43 stop attendrai au Train Bleue stop Bisous stop ») notons que l’origine est l’expression full stop = »fin de phrase, point » utilisée en Angleterre depuis la fin du XVIème siècle.

Le vieil anglais, issu du germanique occidental, comme l’est l’ancien haut allemand[2], avait un mot apparenté forstoppian=boucher, fermer[3] qui s’est transformé en stoppian puis en stop en anglais moderne.

Les tribus germaniques aux frontières de l’empire romain, faisaient grand  usage  des bouchons en étoupe, particulièrement le long du Rhin. C’est ainsi que le francique stopfôn signifiait « mettre, fourrer, enfoncer dans  » avec le même sens que l’ancien haut allemand stopfôn .

Ces peuplades ont repris en le germanisant le verbe stuppare= »boucher, calfater » que le latin vulgaire avait formé sur le nom stuppa = bouchon[4] en latin vulgaire. Le mot anglais stopper signifie encore aujourd’hui « quelque chose qui sert obturer, à boucher« .

Le mot stuppa signifiait « étoupe » en latin classique. Le sens de la langue classique est resté en ancien français (estupe=étoupe).Aujourd’hui, outre son sens traditionnel, le mot étoupe se retrouve dans l’expression un peu vieillie mettre le feu aux étoupes = « exciter à des sentiments violents, à faire l’amour » comme l’a utilisé Lesage: « Cette fausse dévote, vrai suppôt de Satan, mit le feu aux étoupes en parlant sans cesse à la dame de l’amour et de la persévérance des Génois [5]« .

Le mot stuppa vient  du grec στππη( stuppé )=étoupe, partie la plus grossière de la filasse du chanvre ou du lin[6].Le mot grec a pour origine la racine indo-européenne (s)teue=boucher, condenser[7] que certains orthographient steu̯ǝ- signifiant “devenir dense , serré, étroit[8].

 

La descendance germanique de stuppa/stuppare et en particulier du francique stopfôn (= « mettre, fourrer, enfoncer dans  » ) nous a ensuite donné le mot estofer en ancien français, vers 1190, dont le sens est devenu « remplir, rembourrer, garnir , approvisionner » d’où ce qui sert à garnir =une étoffe [9].Par le biais du hollandais stoppen =fourrer, mettre, repriser ,nous est venu le sens du verbe stopper =réparer une étoffe déchirée ou trouée et le verbe restauper =racommoder à l’aiguille les trous d’une toile utilisé en Flandre dès 1730 [10].

La descendance romane du verbe stuppare du latin vulgaire nous a donné estoper en ancien français = »1.boucher avec de l’étoupe, calfater 2.arrêter faire cesser. 3. fermer la bouche à quelqu’un. 4. plier le corps en deux et 5.jouir d’une femme« [11].On imagine aisément pourquoi dans l’esprit des gens du haut moyen-âge la progression est naturelle entre le  3ème sens et le  5ème sens!

Influencé par son cousin germanique, estofer, le verbe estoper prends dès le XIIIème siècle le sens d’étouffer =asphyxier d’où au XVème siècle l’expression étouffer son ennemi=le tuer. Progressivement, son  sens évolue: au figuré, le sens « d’empêcher un sentiment ou une parole » est relevé  mi-XVIème siècle[12], le sens de « cacher, supprimer, faire disparaître » comme dans l’expression étouffer une affaire apparaît dans la 1ère édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694), puis c’est au milieu du XVIIIème siècle qu’apparaît le sens culinaire de « cuire en vase clos » attesté pour la première fois dans la 7ème édition du Dictionnaire de l’Académie française (1835).

Si aujourd’hui estouffade et à l’étouffée sont en cuisine synonymes, il ne faut pas conclure de la similitude des mots qu’ils ont la même racine! En effet, estouffade ne vient pas de stuppa/ stuppare mais de l’italien stofata =cuisson à la vapeur, mot venant de stufa= fourneau, du latin vulgaire extufare du grec tuphein=fumer, remplir de fumée[13]!

Pour nous remettre des fatigues de ce périple linguistique serait-ce pousser le bouchon trop loin que de souhaiter étouffer une bonne bouteille[14] en bonne compagnie!


[1] Alain Rey Le Robert Dictionnaire historique de la langue française(1992) (Rey).

[2] Orrin W. Robinson Old English and its Closest Relatives, a Survey of the Earliest Germanic Languages p.12 (1992)

[3] J.R. Clarke, A Concise Anglo-Saxon Dictionary p.132 (4ème éd.1960). A noter qu’en vieux frison stoppia =boucher, comme stoppen en hollandais moderne: Chambers A Dictionary of Etymology R.K. Barnhart éd.(1988) p.1071.

[4] Ernout et Meillet Dictionnaire étymologique de la langue latine (4ème éd.1959, réimpr. 2001)

[5] Histoire de Guzman d’Alfarache I,3

[6] Leo Meyer Handbuch der griechischen Etymologie v.4 p.171-172 (1902) .

[7] Joseph T.Shipley The Origin of English words :A Discursive Dictionary of Indo-European Roots (1984).

[8] Selon A Proto-Indo-European Language Lexicon, and an Etymological Dictionary of Early Indo-European Languages,http://dnghu.org/indoeuropean.html ,une banque de données établie à partir de J. Pokorny “Indogermanisches Etymologisches Wörterbuch”, corrigé par George Starostin (Moscow), A. Lubotsky, la racine/lemma steu̯ǝ- signifie “devenir dense , serré, étroit” et est bien l’origine du mot grec στύππη `étoupe’ dont  provient le mot latin “stuppa” .

[9] A.J.Greimas Dictionnaire de l’ancien français (2001) sub nom. »estofer » et J. Picoche Dictionnaire étymologique du français (1992) sub nom. « étoupe »

[10] Tlf. Sub nom. « restauper »

[11] Greimas op. cit. sub nom. « estoper ».

[12] Trésor de la langue française (Tlf) sub nom. »étouffer »

[13] D’où aussi le mot « étuve »: Rey op.cit. et Tlf. sub nom. « estouffade »

[14] = boire en entier: Rey op.cit.

Crawfish étouffée, stop and stuff

Crawfish étouffée is emblematic of Louisiana’s cuisine .According to chef Emeril Lagasse étouffée in Cajun and Creole cooking refers to anything cooked in its own juices, sometimes with a little water added. The French word “étouffée” means “smothered, asphyxiated”.

What can link this form of cooking to the words “stuff” and “stop”?

The answer requires us to meander through time and space to observe how a Greek word “στύππη (stuppe)”, the coarse part of flax or hemp =oakum, tow, became “stop” in modern English and “étoupe” in modern French.

The Greek word [1]was borrowed by classical Latin (“stuppa”) with the same meaning then it changed meaning in Vulgar Latin when it came to signify a “plug” adding the verb “stuppare” formed on “stuppa” to mean “plug with oakum or tow”. The Germanic tribes along the Rhine were frequent users of this type of plug and borrowed the Vulgar Latin word forming the word “stopfôn”[2]. In Old High German as in Frankish this meant “stuff into, push in, put in”.

Old English, like Old High German descended from West Germanic, had a similar word “forstoppian” which meant “to stop up, plug, close”[3]. This word became “stoppian” and “stop” in modern English. The meaning of “halt” for the word “stop” is an English development, borrowed later by many other languages, dating back to the middle of the XV th century. For those who are young enough to remember the telegraphic style “Will arrive tomorrow STOP Meet me on the pier STOP”, the word “stop” here is an abbreviation of “full stop” which has meant “end of a sentence” in Britain since the Middle Ages. The original meaning of “stop” =plug is still found today in the word “stopper” as in bottle stopper.

The Frankish “stopfôn” was then borrowed by Old French: in 1190, the Old French verb “estofer” formed on “stopfôn” means “fill up, push in, stuff in, equip, furnish, provide”. The Old French meaning then evolved to that of “that which furnishes” i.e., “estoffe” which became “étoffe” =cloth” in modern French.

Old English then borrowed the word “estofe” from Old French:”stof” before the first quarter of the XIVth century was the quilted material worn under chain mail. Afterwards, later in that century, the word became “stoffe” meaning “cloth, household goods”. At the end of the XIVth century, in Middle English, the spelling becomes “stuffe” hence the modern “stuff”!

The Vulgar Latin verb “stuppare” became “estoper” in Old French, meaning “plug with oakum or tow, bring to a halt, close someone’s mouth[4].Under the influence of its Germanic cousin “estofer”, the verb “estoper” became “estouffer” in the XIIIth century, with the meaning of “smother, asphyxiate”. The modern spelling is “étouffer”.

The Old French “estoper” was then borrowed in Middle English to become “estop” and is the root of the legal term “estoppel” still used today.

It is only at the end of the XVIIIth century that the French word “étouffer” acquired the culinary meaning of “cooking in a closed vessel”, showing up for the first time in the 7th edition of the Dictionnaire de l’Académie française (1835).

Just because today “étouffée” and “estoufade” are culinary synonyms and are similar in form does not lead to the conclusion that they share a common root. Indeed, they do not: “estoufade” was borrowed by the French from the Italian “stofata” meaning “cooked with steam”, a word coming from the “stufa=oven” from the Vulgar Latin “exstufare” which was borrowed from the Greek “tuphein” meaning “smoke, fill up with smoke”.

Thus, after some 5,000 years and meanderings across Europe, a Proto-Indo-European root steu̯ǝ-conveying the idea of tightness, of compactness is still found in its progeny , “stop”, “stuff” and “étouffée”, even if , at first blush, the kinship between the cousins is no longer apparent.


[1]According to Joseph T. Shipley The Origin of English words : A Discursive Dictionary of Indo-European Roots (1984) it comes from the Indo-European root s(teue)=compact, to condense related to stei and the Sanskrit stupa. In A Proto-Indo-European Language Lexicon, and an Etymological Dictionary of Early Indo-European Languages, http://dnghu.org/indoeuropean.html , a database compiled from J. Pokorny’s “Indogermanisches Etymologisches Wörterbuch”, corrected by George Starostin (Moscow), A. Lubotsky, the root/lemma steu̯ǝ- is given to mean “to get dense or tight” and is the root of the Greek στύππη `oakum’ from which the Latin “stuppa” comes.

[2] Some German scholars have posited that the root of “stopfôn” is not the Greek “stuppe” but a Germanic root “stoppon” related to the Latin “stupere” =to be stunned, dazed but all agree that the Vulgar Latin “stuppare” influenced in form and meaning the Old High German “stopfôn”: Chambers A Dictionary of Etymology R.K. Barnhart éd.(1988) p.1071. Ernout et Meillet Dictionnaire étymologique de la langue latine (4th ed.1959, repr. 2001) consider « stuppare » to be the root of « stopfôn ».

[3] Orrin W. Robinson Old English and its Closest Relatives, a Survey of the Earliest Germanic Languages p.12 (1992) J.R. Clarke A Concise Anglo-Saxon Dictionary p.132 (4ème éd.1960). Note that in Old Frison stoppia meant “plug”, as does stoppen in modern Dutch. In modern French, the verb stopper still means “halt, repair a tear in cloth by darning”.

[4] A.J.Greimas Dictionnaire de l’ancien français (2001) sub nom. »estofer » and  «  estoper » et J. Picoche Dictionnaire étymologique du français (1992) sub nom. »étoupe« . Alain Rey Le Robert Dictionnaire historique de la langue française(1992).